Il s'agit en effet d'un ensemble de chefs-d'œuvre de grande valeur, tant symbolique que pécuniaire. D'un coût évalué à trois millions de dollars (soit 60 milliards de dôngs), ils sont censés symboliser la victoire du pays contre les agresseurs chinois en 938, sur le fleuve Bach Dang (province de Quang Ninh, Nord). Après cet exploit retentissant qui mit fin à des siècles de domination chinoise, le généralissime Ngô Quyên proclama l'indépendance du pays et fixa sa capitale à Cô Loa (en banlieue de Hanoi actuellement).
Exposé en octobre dernier à Hanoi en tant que "cadeau significatif pour la capitale millénaire", selon les termes de Pham Gia Thinh, la "Victoire de Bach Dang" est composée de six voiliers monoxyles de couleur noire, taillés dans des troncs millénaires, les voiles étant représentées par des plantes d'agrément. Le plus grand fait 10 m de long et 1,4 m de diamètre.
Des bateaux qui ont fait l'histoire
Pourquoi des bateaux ? "Mes études sur l'histoire nationale m'ont fait prendre conscience que bien des grands événements nationaux étaient liées à des bateaux. À part la victoire de Bach Dang, on peut citer le transfert de la capitale, par le roi Ly Thai Tô, de Hoa Lu (province de Ninh Binh, Nord) à Thang Long (Hanoi actuelle), en 1010", explique l'auteur.
De l'idée à l'œuvre, Pham Gia Thinh a consacré cinq ans. Le plus difficile a été la recherche des troncs. "J'ai choisi le +sao den+, une espèce précieuse qui semble avoir quasiment disparu aujourd'hui", explique-t-il. Des documents lui apprennent qu'il existe dans le Centre de vieux troncs de sao den, ravagés par le temps, dont seul le cœur est exploitable. Que cela ne tienne. Le brave homme part à leur recherche. Il a prospecté, en voiture, les provinces côtières du Centre : Khanh Hoà, Phu Yên, Ninh Thuân, Binh Thuân (Centre)… avant de monter à Lâm Dông, Gia Lai, sur les hauts plateaux du Centre, pour redescendre à Dông Nai, Tây Ninh (partie Nord du Sud)... Partout, il proposait aux autochtones de leur acheter du bois de sao den, et ce "à n'importe quel prix". En un an de recherche, Pham Gia Thinh a pu trouvé six grands tronc, payés rubis sur l'ongle, la bagatelle d'un milliard de dôngs chacun. Vieux de plusieurs siècles, voire millénaires, ils mesurent 10-12 m de long et 2 m de diamètre.
Du bassin à poissons au voilier
Pham Gia Thinh se rappelle avec fierté l'histoire de son plus grand "voilier", façonné à partir du coeur d'un sao den acheté à un paysan d'ethnie minoritaire domicilié dans la province de Dông Nai. Aux dires de ce paysan, il y a un demi-siècle, son père est tombé un jour sur un morceau de bois tout noir niché dans la berge d'un ruisseau. Piqué de curiosité, le vieux a demandé à ses fils de le dégager. Un tronc dur comme la pierre, de 12 m de long et de 2 m de diamètre, a été sorti de sa gangue de terre. Pour l'amener au village, la famille a dû mobiliser des dizaines de buffles. Impossible à débiter, ce bois a été transformé en.... bassin à poissons. Ce tronc étant considéré comme un héritage familial, Pham Gia Thinh a dû batailler ferme pour convaincre son propriétaire de le lui céder. Il lui a rendu visite à de nombreuses reprises avec toujours dans les mains une jarre d'alcool et des amuse-gueules. Et ce n'est qu'à la dixième rencontre que le paysan a accepté de vendre son bien.
Une fois les six troncs de sao den rassemblés, Pham Gia Thinh a ouvert un atelier à Hô Chi Minh-Ville. Les travaux ont été confiés à des artisans expérimentés. Patron d'une entreprise à Hai Phong (Nord), Pham Gia Thinh a dû faire la navette toutes les semaines entre le Nord et le Sud.
Paysage en miniature
La recherche des cailloux pour la décoration des voiliers monoxyles a été aussi compliquée. Ce type de pierre, également de couleur noire, ne se trouve que dans les îles où les salanganes nichent, dans la province de Khanh Hoà (Centre). Son exploitation est interdite de peur de troubler la vie des oiseaux. Pour cette besogne, Pham Gia Thinh a eu recours à des pêcheurs qui sont allés ramasser "en cachette" les précieux matériaux. Quant aux plantes d'agrément, il est allé de long en large dans le delta du Mékong (Sud) pour les acquérir, avec un "prix d'or" également.
Dans ces troncs taillés en voiliers, on a arrangé les pierres noires et disposé les plantes d'agrément. Un ruisseau artificiel serpente au milieu de l'ensemble, créant un paysage minia- ture charmant. Une superbe œuvre d'art donc, pour laquelle l'auteur a déboursé 20 milliards de dôngs. "On m'en a proposé le triple. Mais, j'ai refusé. Pour moi, c'est un chef-d'œuvre sans prix qui fait ma fierté et que je veux garder à vie".
Nghia Dàn/CVN