Dans les villages thaïlandais, des millions d'enfants grandissent sans leurs parents

Avec un peu de chance, Chayanit, huit ans, verra sa mère deux fois cette année. Elle est élevée par ses grands-parents, comme des millions d'enfants dans les campagnes de Thaïlande dont les parents ont dû partir travailler à Bangkok.

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Chayanit, 8 ans, fait ses devoirs chez ses grands-parents dans le village de Baan Dua.

Quelques mois après sa naissance, sa mère a quitté Baan Dua, petit village du Nord-Est de la Thaïlande.

Le phénomène des enfants laissés à la garde des grands-parents au village se retrouve à travers toute l'Asie, de la Chine aux Philippines. En Thaïlande, ce phénomène de migrants de l'intérieur laisse quelque trois millions d'enfants dans cette difficile situation, s'inquiète l'UNESCO.

Ses cheveux ramenés en un joli chignon, Chayanit se dit heureuse de sa vie au village, dans sa région natale de l'Issan, réservoir de main-d'œuvre pour les employés peu qualifiés de la ville.

"J'aime bien être avec mes grands-parents, mais ma maman me manque. Je ne peux pas aller la voir et elle ne peut rentrer que tous les six mois", dit-elle, son sourire s'effaçant soudain.

Sa mère est employée de bureau à Bangkok et réussit à envoyer chaque mois au village entre 3.000 et 4.000 bahts (75 à 100 euros) pour compléter les revenus de la petite exploitation familiale de riz.

Chayanit, 8 ans, à côté de sa grand-mère Chanpen Uthachan dans leur village de Baan Dua, en Thaïlande.

L'explosion de la cellule familiale en Issan est un phénomène qui est né avec l'industrialisation de la Thaïlande dans les années 1970.

Elle est d'autant plus marquée qu'aucune capitale régionale de cette province thaïlandaise ne peut vraiment offrir d'alternative à Bangkok : face à cette mégalopole de plus de 10 millions d'habitants, la plus grosse capitale provinciale de l'Issan, Nakhon Ratchasima, n'atteint pas les 3 millions.

Selon l'UNICEF, quelque 30% des mineurs de l'Issan, région la plus peuplée de Thaïlande, grandissent loin de leurs parents.

L'exode est désormais "considéré comme normal" et a été intégré, explique Aree Jampaklay, de l'université Mahidol de Bangkok, qui suit le phénomène pour l'UNICEF.

Carences alimentaires et affectives mais aussi échec scolaire en découlent, et l'UNICEF s'inquiète des risques sociaux sur le long terme, dans cette région qui est déjà l'une des plus pauvres du pays.

La grogne sociale qui y règne s'exprime déjà depuis des années par un fort soutien au mouvement politique des Chemises rouges et à l'ex-Premier ministre Thaksin Shinawatra, promoteur d'une plus grande justice sociale.

Retards d'apprentissage

Le village de Baan Dau est l'archétype du petit village d'Issan : un temple bouddhiste qui domine l'ensemble, des poules en liberté, des rizières...

Kittipop, 5 ans, à côté de son grand-père Prajak Uthachan, dans leur village de Baan Dua, en Thaïlande.

La faible proportion d'adultes en âge de travailler est flagrante : en ville, ils peuvent gagner plusieurs fois le salaire d'un riziculteur, s'ils deviennent chauffeur de taxi par exemple.

Ici "dans 80%, ou peut-être 90% des foyers, ce sont les grands-parents qui élèvent les enfants... Il n'y a pas de travail, alors tous mes enfants sont partis à Bangkok", explique la grand-mère de Chayanit, Chanpen Uthachan, 70 ans.

Elle et son mari s'occupent aussi de Kittipop, le petit frère de Chayanit, âgé de cinq ans.

"C'est dur, surtout quand ils sont malades et que je dois rester éveillée toute la nuit", explique la septuagénaire. Son mari se dit quant à lui un peu dépassé pour faire régner la discipline.

À l'école, les enseignants constatent chaque jour les difficultés de ces enfants élevés par leur grands-parents : problème de concentration, carence affective, retards d'apprentissage du langage pour les plus jeunes...

"Les recherches commencent à montrer que cela compromet l'avenir des enfants, avec des conséquences sur l'ensemble du pays", s'inquiète le professeur Aree.

En Thaïlande, pays très hiérarchisé et inégalitaire, le pouvoir est traditionnellement détenu par les élites urbaines conservatrices et peu de place est laissé à une possible ascension sociale.

"Les pauvres s'appauvrissent. Le cycle de la vulnérabilité se répète", déplore Thomas Davin, représentant de l'UNICEF en Thaïlande, où l'institution a mis en place avec le gouvernement un système embryonnaire de bourses pour les enfants des familles les plus pauvres.

La séparation est aussi une déchirure pour les parents, poussés loin de chez eux par les impératifs économiques. Assani Laocharoen, migrant de l'Issan qui travaille comme déménageur à Bangkok, fait partie de ces millions d'hommes et femmes vivant loin de leurs enfants. "Mes enfants me manquent tant. Je veux juste vivre avec eux", explique celui qui habite dans une cité dortoir sordide accueillant des migrants de l'intérieur.

AFP/VNA/CVN

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