Dans l'au-delà, seraient-ils devenus amis ?

En ces jours d'avril où est commémoré le dixième anniversaire de la mort de Trinh Công Son, où les uns et les autres ont envie d'écrire en hommage à feu ce compositeur de talent, égarons-nous sur une personne qui, pendant les dernières années de sa vie, s'est attachée silencieusement à ses chansons.

Bien qu'ignoré de la plupart des lecteurs vietnamiens, son nom n'est depuis longtemps plus inconnu des francophones amoureux de Trinh Công Son. Oui, il s'agit de Léon Remacle, celui qui a traduit près de soixante-dix chansons dudit compositeur en "langue de l'amour". Français de nationalité, il était aussi enfant de Huê ; dans ses veines coulaient le sang impérial mêlé du sang gaulois.

Il y a plus d'un demi-siècle, dans la ville romantique de Dà Lat (province de Lâm Dông, hauts plateaux du Centre), le jeune français Louis-Gabriel Remacle (dont la mère était Vietnamienne) rencontra la jeune Huéenne Tôn Nu Thi Bach Hiêu, une des filles aimées de Tôn Thât Bich (un chef militaire sous le règne de Bao Dai), et se laissa séduire par sa beauté douce et discrète. Cette histoire d'amour au bord du lac Xuân Huong se concrétisa par un beau mariage. Le couple eut douze enfants, Léon Remacle était le quatrième. Léon fut éduqué selon les règles de civilité et les normes de comportement traditionnel d'une famille de lignée impériale, on lui fit suivre l'école française mais aussi apprendre la langue vietnamienne, le nôm (écriture démotique) et le chinois.

En 1971, à l'âge de 19 ans, Léon partit en France faire ses études universitaires et obtint son DUT d'informatique. Il travailla alors au Crédit Industriel et Commercial et fonda son foyer sur la commune d'Asnières-sur-Seine (en région parisienne). Résidant en France et marié à une Française, il ne se permit pas pour autant d'oublier ses origines. D'une part, il communiquait régulièrement en vietnamien avec sa mère, ses frères et sœurs et, de l'autre, il lisait la littérature vietnamienne et chinoise. Dans sa bibliothèque se côtoyaient Molière, Voltaire, Hugo… et Nguyên Du, Hàn Mac Tu, Hô Xuân Huong…

Amoureux de la poésie et de la musique, imprégné du lyrisme huéen, il s'était laissé charmer sans savoir depuis quand par les chansons de Trinh Công Son. Cette émotion, cet amour, il avait préféré, au lieu de les garder pour lui seul, les partager avec les Vietnamiens nés loin du pays et ne pouvant parler vietnamien ainsi qu'avec les étrangers intéressés par la culture vietnamienne. Chaque jour, hors de ses heures de travail et du temps réservé à sa famille, il s'attaquait à traduire en vers français des chansons de Trinh. La traduction poétique, communément connue comme un travail extrêmement ardu, était pour Léon Remacle plus qu'un plaisir : une passion. Quel délice que de se plonger dans les deux cultures, d'écouter la terre maternelle tout en chantant la mélodie paternelle !

Traduction de 65 chansons de Trinh Công Son

Si les chansons de Trinh Công Son sont très agréables à l'écoute, il n'est pas toujours évident d'en comprendre toutes les paroles, encore moins de les transposer d'une langue à l'autre. Très prudent et responsable vis-à-vis de ses traductions, Léon pouvait passer des heures, ne fût-ce que pour trouver un mot juste. Et, voulant s'assurer de la bonne interprétation des expressions utilisées par le compositeur, il s'est procuré de nombreux dictionnaires sino-vietnamien, sino-français pour la consultation croisée. Le répertoire de ses traductions commençait par L'oiseau solitaire, Chanson de la lune et puis le nombre de chansons traduites augmentait chaque jour davantage : Belle de jadis, La larme de l'éternité, Été blanc, Pluie bienfaisante, Formons une grande ronde, Revoir mon ancienne école... Cependant, il n'a ni créé un site, ni un blog personnel et ne s'est non plus fait publier dans un recueil. Léon a choisi de confier toutes ses traductions à un célèbre site spécialisé sur Trinh Công Son, espérant que celles-ci seraient accessibles au plus grand nombre d'amoureux de Trinh. Par l'intermédiaire de ce site, ses traductions sont en effet parvenues à un large public. Il y a des mères Viêt kiêu (Vietnamiens d'outre-mer) qui se retrouvent tout émues en recevant une traduction envoyée par leur enfant, il y a des enfants ignorants du pays de leurs ancêtres qui, en le lisant, ont envie de partir à la recherche de leurs origines. Beaucoup de Français qui écoutaient et aimaient les chansons de Trinh de par sa musique, sont d'autant plus impressionnés par cet auteur-compositeur maintenant qu'ils les ont comprises. Ceux qui sont au courant de ses origines se demandent si la mélancolie huéenne et la saveur pure des bouffées de vent de mer de Nha Trang (Centre) étaient pour quelque chose dans sa manière si touchante de traduire les chansons de Trinh.

Sa compétence en vietnamien était bien meilleure que celle de beaucoup de Vietnamiens, sa maîtrise du français aussi dépassait celle de nombreux Français. De ses amis et connaissances, personne n'a pourtant jamais remarqué qu'il se fît mousser ou se montrât prétentieux. Bien au contraire, il restait toujours modeste, disposé à apporter son concours à d'autres et, du coup, apprécié de tout le monde. Il témoignait une modération exemplaire lors des discussions, n'ayant jamais imposé son avis.

Hélas, à l'été 2007, une crise cardiaque ne lui permit pas de mener à terme son projet de traduire Trinh Công Son. Le nombre de chansons traduites s'est arrêté au chiffre 65 ; la dernière Que dorme le soleil bien sage fut terminée le 12 juin 2007, près de deux semaines avant son sommeil définitif. Son départ a laissé un regret infini à tous ses proches, collègues et amis, tout en constituant une grande perte pour les amoureux des chansons de Trinh Công Son dans la communauté francophone. En 2009, son fils aîné Guillaume Remacle est retourné au Vietnam pour enterrer une partie de ses cendres à Nha Trang, où il était né et avait vécu une partie de sa vie.

En plus de Trinh Công Son, Léon Remacle traduisit également d'autres poètes et compositeurs ; il avait surtout l'intention de retraduire Kim Vân Kiêu de Nguyên Du, souhaitant offrir plus de choix aux lecteurs francophones. Il avait réussi à collectionner presque toutes les versions françaises de Kiêu, plusieurs versions vietnamiennes et même une version en nôm avec des notes explicatives détaillées. Selon Jacqueline Remacle Tôn Nu Tuong Vân, la sœur aînée de Léon, son frère a débuté, et même avancé, une partie non négligeable du projet. Dommage qu'il n'ait jamais abouti !

Toute sa vie, il fut toujours fier de ses origines vietnamiennes. Il était retourné au pays maternel maintes fois avec sa famille, dont la dernière était lors du Têt du Chien en 2006 ; cela faisait alors cinq ans que Trinh Công Son nous avait quittés. De son vivant, Léon n'a jamais eu l'occasion de rencontrer ce célèbre compositeur mais qui sait si, dans l'au-delà, ils auront fait connaissance et seront devenus amis...

Minh Phuong/CVN

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