Ça taxe sec

Combien de fois ai-je pesté dans nombre de grandes villes occidentales, alors que, soucieux d’arriver à l’heure à un rendez-vous, j’attendais un improbable taxi. Au Vietnam, foin d’anxiété : zélé, le taxi arrive avant même d’être hélé ! L’aventure peut alors commencer…

Tout d’abord, sachez que l’étymologie du mot «taxi» vient du mot «taxe», qui lui-même signifie : fixer un prix, tout cela pour vous aider à comprendre la suite ! Ainsi, le mot «taxi» indique que le véhicule qui arbore un panonceau avec ce terme s’est vu fixé officiellement un prix pour transporter les piétons de rencontre qui deviennent ainsi des passagers. Et pour éviter toute équivoque ou toute discussion sans fin à l’issue de la course, on a inventé le taximètre, appareil intelligent, capable de comptabiliser l’augmentation des dôngs proportionnellement aux tours de roues du véhicule. En outre, l’administration, dans sa haute bienveillance (car forcément, elle ne peut être que bienveillante l’administration, jamais surveillante ou malveillante), a demandé aux compagnies de taxi d’afficher un autocollant sous le taximètre, indiquant le montant de la taxe due, à savoir le prix au kilomètre.

Question de chiffres

C’est donc fort de ces informations que cet après-midi d’août, je hèle un taxi pour ramener des amis du Musée des beaux-arts de Hanoi à leur hôtel au nord de la vieille ville. Comme d’habitude, la manœuvre est facile : se poster au bord du trottoir, prendre la pose avantageuse du torero qui attend sans peur le taureau, lever une main ferme et l’agiter dès que l’on voit apparaître un panonceau «TAXI» sur le toit d’une voiture, puis attendre que celle-ci, si elle est libre, coupe le flux au mépris de tout respect du Code de la route et à grand renfort de klaxon pour venir charger sa cargaison de passagers.

Le taxi en question étant vraiment très petit, j’offre à mon ami le siège avant à côté du chauffeur pour qu’il profite en cinémascope de l’anarchique circulation, et m’installe à l’arrière en compagnie de son épouse. Alors que le véhicule à taxe officielle commence sa lente remontée vers le Nord, nous poursuivons en français la conversation que nous avions à propos de la visite muséographique que nous venons d’effectuer.

J’en profite ici pour demander aux éditeurs de guides d’être un peu plus scrupuleux sur les informations qu’ils donnent aux touristes confiants. En effet, l’estimable guide que compulsent régulièrement mes amis (je parle bien ici du livre et non de l’homme) nous avait indiqué que le musée fermait entre midi et 14h00, et que nous pourrions admirer au 3e étage de magnifiques spécimens de l’art traditionnel vietnamien. Mais en réalité, le musée ouvre toute la journée de 09h00 à 17h00 et, hormis le rez-de-chaussée, ne comporte que des peintures, eaux-fortes, lithographies, et autres toiles, certes splendides pour certaines, mais qui ne résument pas à elles seules tout l’art traditionnel vietnamien !

Tout en commentant cette inexactitude informative, je glisse un œil, distrait à l’avant du véhicule (ce qui en soit est une belle prouesse), et je constate que le taximètre affiche des chiffres qui me semblent suspects. En collaboration avec mon ami, qui lui a son nez devant, nous nous exerçons à quelques opérations de calcul mental. A priori, la multiplication du prix au kilomètre avec le nombre de kilomètres parcourus semble correspondre au prix qui déroule régulièrement ses milliers de dôngs au compteur. Alors, qu’est-ce qui me chiffonne ? Qu’est-ce qui fait que je trouve ce montant douteux ! C’est mon ami qui me met la puce à l’oreille : les chiffres qui tournent au rythme des centaines de mètres parcourus paraissent atteints d’une frénésie étrange. On a l’impression qu’ils ont envie d’arriver avant nous, transformant ainsi les dizaines parcourues en centaines.

Question de faces

Comme à mon habitude, je décide de traiter ceci à la vietnamienne. N’ayant pas encore prononcé un seul mot en vietnamien, car mon ami avait présenté la carte de l’hôtel en montant dans le taxi, j’attends que celui-ci stoppe devant l’hôtel d’arrivée. Je laisse descendre mon ami, et je remonte dans le taxi, en m’installant à côté du chauffeur, lequel est tout étonné. Mais d’étonné il devient ébahi, quand en vietnamien je lui tiens calmement, à peu près ce langage : «Vous savez, j’habite à Hanoi depuis longtemps et je connais les distances. Votre taximètre tourne trop vite. Il n’y a pas 10 km du musée à ici, donc le prix n’est pas bon !». Réaction de mon interlocuteur, sans aucune colère, ni sans perdre son sang-froid : «D’accord ! Vous voulez me donner combien ?». Le taxi me demande de fixer la taxe à moi le taxé. Succulente négociation ! Je divise le prix par deux, et mon interlocuteur empoche la somme sans broncher… Ce qui veut dire que je suis encore au-dessus du prix réel. Un au revoir cordial, et mon taxi repart en quête d’une autre victime qui l’aidera à se payer un plus gros taxi, lequel lui permettra de se payer sa maison !!!

Au Vietnam, les taxis ne sont jamais bien loin... mais gare aux arnaques !
Photo : Truong Trân/CVN

Cette expérience est somme toute plutôt amusante. Mais il en est d’autres plus humiliant pour notre ego. Devant le restaurant Hapro, en face du lac Hoàn Kiêm, à 20h00. Nous sortons du restaurant, le ventre bien rempli de mets locaux. Le crachin de printemps nous accueille à l’extérieur, pas envie de traverser la vieille ville sous cette humidité pénétrante. Mon épouse, qui je le rappelle est vietnamienne, hèle un taxi qui maraude dans le coin. À ce moment, elle se trouve à une dizaine de mètres de nous. Le taxi s’arrête, et notre femme nous fait signe d’avancer. À ce moment, le taxi démarre doucement, mais sûrement. Ma femme se précipite et frappe à la vitre avant. Le taxi s’arrête à nouveau, et le chauffeur s’extirpe de son véhicule, puis nous regarde. Je suis encore à quelques mètres, et j’entends vaguement parler de «nguoi nuoc ngoài» (étrangers), puis le chauffeur remonte dans le taxi et repart illico en nous laissant plantés sur le trottoir. À nos regards interrogatifs et silencieux, mon épouse répond par un haussement d’épaules, tout en hélant un second taxi. C’est quand nous sommes installés dans le véhicule que sur mon insistance, elle nous dit que le chauffeur précédent avait refusé de nous prendre dans sa voiture parce qu’il… n’aime pas les étrangers ! Quel dommage que je ne fus pas assez proche pour entreprendre avec lui une conversation intéressante dans sa langue natale ! Ceci étant, la majorité des taxis possèdent des compteurs honnêtes et ne sont pas xénophobes.

J’offre même cette tranche de vie à tous les chauffeurs de taxi qui ont réussi à déchiffrer les adresses mal orthographiées et dites avec un accent épouvantable ; à tous ceux qui ont accepté d’attendre cinq minutes que mon épouse aille récupérer quelque chose dans un magasin et qui se sont fait klaxonner pendant un quart d’heure ; à tous ceux qui ont supporté les nausées de ma fille et leurs conséquences désastreuses pour les tapis de sol; à tous ceux qui m’ont racontés leur vie au fil des embouteillages et qui travaillent plus de dix-huit heures par jour…

Hep taxi ! Merci d’être là quand nous avons besoin de vous, avec votre sourire et malgré… vos taximètres !

P/S : Chronique exempte de toute forme de publicité pour une quelconque compagnie de taxi !

Gérard BONNAFONT/CVN

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