On a beau dire que l’été est la pire saison pour venir au Vietnam, les voyageurs bravent volontiers typhons, mousson, tempêtes tropicales et autres joyeusetés météorologiques locales pour s’échapper de leur quotidien en venant s’extasier devant les charmes du Sud Lointain. Mais si les aéroports déversent quotidiennement leur flot de chasseurs d’émotions et d’images, les autochtones ne sont pas en reste pour partir à la découverte de leur pays. Et je résiste rarement à l’appel de la route, dès que le soleil me fait un clin d’œil pour m’inviter à venir le rejoindre à l’autre bout de l’horizon…
Grand écart
Ce jour-là, Phébus avait revêtu ses habits de juillet. Rayons brûlants dès l’aube qui nous avaient contraints à partir à l’aube, quand l’astre du jour rosissait à peine sous les dernières écharpes de nuit.
Notre «phở» quotidien avalé, nous suivons la nationale 14 en direction de Pleiku (province de Gia Lai), là-bas, quelque part dans les hauts plateaux du Centre. Finie la tranquillité relative de la piste Hô Chi Minh que nous avions fidèlement suivie depuis Hanoi. La veille, nous l’avons laissée continuer seule vers le Laos…
La route est belle, mais le fossé boueux ! |
La circulation plus importante et plus anarchique nécessite d’être vigilant ! La preuve m’en est donnée très rapidement, puisque, après quelques kilomètres, un bus qui double en 4e position me contraint à rouler dans un fossé rendu boueux par les pluies de la veille. Et là, je commets une erreur de débutant : au lieu de relâcher les gaz et de laisser ma moto ralentir sur son erre, je freine ! Dérapage dans la boue, la moto s’incline, le poids des bagages m’entraîne, et je chute dans la boue. Rien de grave, puisque je reste debout, c’est la moto qui se couche, mais mon orgueil de motard en prend un coup. Tuân est déjà là, il me donne un coup de main pour relever engin et bagages, et me propose, suite à sa longue expérience des sentiers boueux, de ressortir ma moto du bourbier dans lequel elle s’est enfoncée. Mais je décline son offre: je dois m’en sortir tout seul ! Et c’est sous le regard moqueur mais protecteur de mon mentor que je réussis, après quelques dérapages contrôlés, à ressortir du fossé et à retrouver le bitume de la route.
Malgré cette parenthèse argileuse, la route continue… Nous faisons un petit détour pour admirer le lac T’nung, à quelques kilomètres de Pleiku. Curieusement, hormis les bananiers, ses rives couvertes de pinèdes et ses plages de sable rouge me font penser aux lacs de la Côte d’Azur en France. Sous la pergola qui surplombe le lac, quelques couples d’amoureux se font des serments pour la vie. Restons discrets !
Après un arrêt à Pleiku pour faire nettoyer ma moto couverte de boue, nous repartons vers Buôn Ma Thuôt (province de Dak Lak). Jusqu’à présent, nous avions eu la chance d’avoir des routes plutôt confortables, exemptes de gros trous, et que nos reins et nos épaules appréciaient particulièrement. Cette fois, la route a décidé de nous donner une leçon, et pendant près de 200 km, nous sautons plus que nous roulons ! C’est donc en tressautant sur nos selles que nous traversons l’immense plateau de Pleiku à Buôn Ma Thuôt. Ici, tout est vaste : le paysage qui s’étend à l’infini, les monts volcaniques qui se dessinent à l’horizon, les plantations de théiers, de poivriers et de caféiers qui se succèdent en rangs serrés. Mais ce qui m’impressionne le plus, ce sont les plantations d’hévéas qui s’étirent sur des dizaines de kilomètres. Dire que cette résine finira en millions de pneus qui, une fois usés, se consumeront en polluant l’atmosphère ! À cause de la… rusticité de la route !
Les haltes défilent : arrêt au marché de Chu Sê pour acheter des fruits, arrêt à Ea Rai pour refaire le plein d’essence, arrêt à Ea Drang pour le repas de midi, arrêt à Buôn Hô pour boire un verre…
Grosse fatigue
Après Buôn Hô, nous nous arrêtons au sommet d’un petit col pour discuter avec des enfants qui gardent des bœufs paissant dans une pinède. De là, nous avons vue sur des plantations de théiers en terrasse. L’endroit est calme, l’air est frais, et les enfants sont curieux. Ils nous posent beaucoup de questions auxquelles nous répondons. C’est à ce moment-là que je prends conscience de mes limites : mon vietnamien est inopérant ! Outre mon épouvantable accent qui rend déjà mon discours difficilement compréhensible à toute personne qui n’a pas l’habitude d’entendre un étranger parler vietnamien, mon vocabulaire n’est plus celui de la région. Même Tuân a du mal à se faire comprendre ! Pour me consoler, je me dis que ces enfants font partie de l’ethnie Gia Rai et que donc à l’impossible nul n’est tenu. J’apprendrai les dialectes plus tard ! Nous repartons sous des «bye bye» tonitruants, ce qui achève de rendre morose ma partie profondément francophone.
La route est belle, mais l’imprévu est au rendez-vous ! |
Mon moral remonte rapidement en profitant des derniers kilomètres qui nous séparent de Buôn Ma Thuôt, et heureusement, car, à peine arrivé en ville, un incident mécanique aurait pu entamer définitivement ma bonne humeur proverbiale ! Ma moto émet, depuis quelques temps, un curieux bruit de sirène à chaque démarrage, et là ce bruit devient franchement insupportable, à tel point qu’il attire l’attention des gens que nous croisons. Nous décidons de tirer les choses au clair, et nous demandons l’adresse du concessionnaire de la marque de ma moto…
Un «xe ôm» (mototaxi) local propose de nous guider, et après avoir traversé la ville, rouge de confusion sur un engin couinant, j’arrive à la concession. Je n’ai pas besoin de parler ! En entendant le bruit, le gérant fait le diagnostic : «C’est la courroie», et hèle immédiatement deux ouvriers pour m’offrir un festival de l’efficacité vietnamienne. L’engin est mis sur pont, carter ouvert, courroie ôtée, membrane changée, moteur nettoyé, nouvelle courroie, carter refermé, moto remise à neuf en moins d’une demi-heure ! En France, j’aurais attendu trois jours !
Hôtel trouvé, nous nous offrons une promenade nocturne dans l’air frais de Buôn Ma Thuôt : petit tour devant le Monument de la Victoire, visite de l’église locale et du temple Lac Giao. Un petit moment de recueillement chacun selon nos convictions personnelles, et après un excellent repas dans un restaurant, nous retrouvons le calme de nos chambres. Finalement, cette journée, qui n’aurait pu être qu’une échappée routière parmi d’autres, est devenue une aventure épicée de rencontres fortuites, d’incidents imprévus et de petites poussées d’adrénaline. Juste de quoi se sentir heureux de vivre !
J’espère vous avoir fait partager un peu de ce petit bonheur d’un mois de juillet au Vietnam…
Texte et photos : Gérard Bonnafont/CVN