>>Les fraises ont du mal à arriver dans les assiettes
Un employé dans une ferme horticole de Nakuru, au Kenya. |
Photo : AFP/VNA/CVN |
Dans la ferme "Bliss Flora" de Njoro, à quelque 180 km au nord-ouest de Nairobi (capitale du Kenya), la crise du COVID-19 se fait sentir à plein : plus aucune des 100.000 à 120.000 roses produites quotidiennement et destinées à l’export ne trouve preneur.
Entre l’effondrement du marché européen - où partent 70% des fleurs coupées produites au Kenya - et les restrictions sans cesse plus fortes dans le secteur aérien, c’est toute la filière qui a mis les deux genoux à terre.
Dans l’exploitation de Njoro, d’immenses serres se succèdent sur 37 ha, reliées les unes aux autres par un système de récolte de l’eau de pluie qui vient alimenter des bassins de rétention. Au centre, des locaux administratifs modestes et proprets, bordés de gazons manucurés. Et depuis une dizaine de jours, un peu à l’écart, une décharge improvisée où les monceaux de roses pourrissent au soleil.
"Comme il s’agit d’un produit vivant, nous ne pouvons pas arrêter (d’un coup) de fonctionner. Les roses continuent d’être produites quotidiennement et nous devons les récolter et les jeter", explique Sachin Appachu, directeur général du site.
Dans une des serres, Andrew Awoh, l’un des quelque 500 employés de la ferme, coupe des roses comme il le fait depuis huit ans. L’heure est sombre pour l’ouvrier de 51 ans, qui se demande ce que lui réserve l’avenir. "Les choses sont tellement différentes à cause de ce coronavirus (...) J’ai des enfants qui vont à l’école. Je dois trouver de quoi acheter de la nourriture, payer le loyer", énumère-t-il.
À court de cash
Environ 70% des fleurs coupées produites au Kenya sont expédiées en Europe. |
Photo : JAF-Info/CVN |
M. Appachu, 47 ans, constate les dégâts avec beaucoup d’émotion. "Ça faisait déjà peur de regarder un film de trois heures sur ce genre de virus et ses conséquences sur la société mais de devoir le vivre pour des jours - qui sait, des mois ? - Ça fait vraiment peur. C’est même terrifiant, à vrai dire".
Pour limiter la casse, il a instauré un système de rotation des équipes pour que chacun des employés touche au moins 50% de son salaire. Il est également allé voir les banques des environs pour demander, et obtenir, une suspension du remboursement des prêts contractés par ses employés. Mais jusqu’à quand pourra-t-il tenir ?
Pour Clement Tulezi, le directeur du Conseil kényan des fleurs (Kenya flower Council) qui chapeaute la filière, les 170 fermes horticoles du pays manquent déjà cruellement de liquidités. "Nous sommes à court de cash. Chaque jour, nous perdons environ 250 millions de shillings", soit environ 2,1 millions d’euros, informe-t-il.
"Les gens en Europe ont deux préoccupations immédiates : la nourriture et leur propre sécurité sanitaire. Le reste, c’est du luxe. Et, (à l’heure actuelle), ils considèrent les fleurs comme du luxe", résume-t-il.
Le patron de la filière pointe également la limitation des rassemblements pour les mariages ou funérailles, qui contribue à la chute de la demande.
De son côté, un autre directeur de ferme, dont la production part à 60% vers le Moyen-Orient, explique sous couvert de l’anonymat recevoir encore quelques commandes mais il ne trouve pas d’avion pour les acheminer.
M. Tulezi explique que des discussions avec le gouvernement portent actuellement sur des mesures d’accompagnement comme des reports d’impôts ou des remboursements de la TVA, pour soutenir un secteur parmi les quatre premiers pourvoyeurs de devises du pays, avec le tourisme et le thé notamment.
En attendant, il s’inquiète “de l’impact social” de la crise, "des pertes d’emplois, des pertes de revenus, d’un accroissement de la pauvreté, de la faim", et ce, alors même que le Kenya n’a enregistré officiellement que 25 cas de COVID-19.
"Nous essayons de rester optimistes, de nous dire que nous surmonterons tout ça, mais pour le moment, ce n’est pas très rose".
AFP/VNA/CVN