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Le mathématicien français Jean-Pierre Serre a remporté la médaille Fields en 1954. |
Photo : Libération Maroc/CVN |
"Je travaille sur différents sujets, je prépare un exposé pour le mois de mars", explique le lauréat de la médaille Fields, Jean-Pierre Serre, l’une des plus prestigieuses distinctions au monde en matière de mathématiques.
"Les mathématiciens déposent sur les rayons des choses dont ils garantissent qu’elles sont vraies. Nous en donnons aussi le mode d’emploi et, après, les physiciens, les chimistes... font ce qui veulent avec", raconte-t-il. "Ajouter une vérité de plus ne peut pas faire de mal", ajoute ce scientifique à l’air malicieux.
Né le 15 septembre 1926 à Bages près de Perpignan (Sud) de parents pharmaciens, Jean-Pierre Serre a étudié à l’École normale supérieure (ENS). Il obtient l’agrégation de mathématiques à 22 ans, le titre de docteur ès sciences à 25 et une chaire au collège de France à seulement 30 ans. Du jamais vu.
Tout au long de sa carrière, ce chercheur a cumulé les prix prestigieux : médaille Fields en 1954, Prix Balzan en 1985, médaille d’or du Centre national de la recherche scientifique (CNRS) en France en 1987.
En 2003, il décroche aussi le prix Abel, pour avoir "largement contribué au progrès des mathématiques durant plus d’un demi-siècle" et "pour son rôle central dans l’élaboration de la forme moderne de nombreux domaines des mathématiques".
Il estime avoir maintenant une réputation "de grand méchant loup", pour sa "sévérité" dans ses jugements scientifiques, et de vache sacrée.
"Conte de fées"
Le mathématicien Jean-Pierre Serre dans son bureau, le 9 avril 2003 à Paris. |
Photo : AFP/VNA/CVN |
Cet homme discret, qui depuis 60 ans remplit les amphithéâtres à travers le monde, trouve cela "très facile" - "sinon, je ne le ferais pas", dit-il.
Démontrer une théorie, "c’est un jeu, j’explique le jeu", s’amuse Jean-Pierre Serre. "C’est comme raconter un conte de fées, un conte de fées où les choses doivent être vraies", ajoute-t-il.
Alors depuis le lycée, tous les jours, il fait des maths "pour le plaisir". "J’ai toujours travaillé chez moi et refusé les occupations auxiliaires, de faire partie de commissions..."
Dans son petit bureau, le chercheur s’est entouré des œuvres complètes des grands mathématiciens : Emil Artin, Henri Cartan, Hermann Weyl, ses "copains" (Armand) Borel, (John) Tate... et tout le groupe Bourbaki : il a d’ailleurs fait relier la plupart des volumes de ce groupe constitué à la fin des années 30 par de jeunes normaliens qui a donné un nouveau souffle aux mathématiques.
"Magnifique", "splendide" : ces adjectifs reviennent régulière-ment dans sa bouche quand il parle de théorèmes.
Dans cette pièce toute simple, il remplit des pages de chiffres, des pages de couleur blanche pour les brouillons - il a deux poubelles à côté de lui -, des pages jaunes qu’il “aime beaucoup” quand il rédige proprement. "J’ai des petites habitudes", s’amuse-t-il.
"Je ne veux pas travailler 12 heures par jour, alors il faut que je perde un peu de temps : je fais des courses, la cuisine, je joue aux échecs... mais je ne cesse pas d’y penser". "Même en vous parlant, j’y pense un petit peu", avoue Jean-Pierre Serre. "J’ai besoin de mijoter".
Le chercheur, qui pratique encore l’escalade, raconte avoir débloqué la théorie de l’homotopie, sujet de sa thèse récompensée par la médaille Fields, lors d’une nuit passée sur une couchette d’un train en 1950.
"Les choses vraiment sérieuses, on y pense plutôt sans papier. Le papier ralentit", explique le nonagénaire. "Des idées importantes, des idées qui ouvrent quelque chose, je pense que j’en ai eu deux dans ma vie".
"Le plaisir des maths est tel qu’on est content même si l’idée qu’on a n’est pas très importante".
Sauf ce matin-là où ses calculs ne tombent pas juste. "C’est un truc idiot mais je ne vois pas du tout ce que cela peut être. Pauvre de moi, c’est exaspérant et... amusant. Dans ces cas-là, je me dis +quel métier !+"
AFP/VNA/CVN