Un Vietnam de Dôi moi sous les yeux d’un ambassadeur

Le Courrier du Vietnam a eu un entretien avec Claude Blanchemaison, ambassadeur de France au Vietnam (1989-1993), à l’occasion de la publication de son livre en vietnamien Nhung nam thang lam dai su tai Viêt Nam (Mémoires d’un ambassadeur) par les Éditions des politiques nationales.

>>Les mémoires inoubliables d’un ambassadeur de France au Vietnam

Vous avez vécu quatre ans au Vietnam en qualité d’ambassadeur de France au Vietnam. Quels souvenirs gardez-vous de cette période-là?
Je suis arrivé au Vietnam au printemps 1989 et j’ai fini ma mission au printemps 1993. Cela fait donc 25 ans. Et il est vrai que le Vietnam est un pays jeune, donc 25 ans, c’est beaucoup. C’est une période pendant laquelle il s’est passé beaucoup de choses dans le monde, au Vietnam, ainsi qu’entre la France et le Vietnam. J’ai eu la chance d’être ambassadeur à Hanoi à cette époque-là. Quand je suis arrivé au printemps 1989, le Vietnam était encore un pays qui sortait de près de 30 ans de guerre. Un pays qui était démuni, qui manquait de beaucoup de choses et qui avait décidé de réformer son économie, en lançant le Dôi moi (Renouveau, Ndlr).
Ce dernier a été décidé quelques années auparavant, mais c’était le début de sa mise en œuvre. Et lorsque je suis arrivé ici, j’ai rendu visite à mes collègues, quelques ambassadeurs occidentaux qui étaient en fonctions à l’époque, et qui m’ont expliqué que ce n’était pas simple dans la mesure où il manquait de beaucoup de choses. On allait quelques fois faire des courses à Bangkok.
À l’époque, il n’y avait pas d’ambassade des États-Unis puisque les Américains continuaient à boycotter le Vietnam. Ce boycott s’est d’ailleurs poursuivi jusqu’à 1995. Cela dit, le Vietnam souhaitait s’ouvrir, se réformer et le rôle que la France a joué, c’est peut-être d’empêcher l’isolement du Vietnam par rapport à l’extérieur, d’aider le plus possible le pays à appliquer sa nouvelle décision de se tourner vers l’économie de marché. En annonçant le retrait complet des troupes vietnamiennes qui étaient au Cambodge, le Vietnam a pris une très bonne décision par rapport à l’extérieur, en ce sens que cela a permis de faire progresser la conférence de Paris sur le Cambodge qui devait permettre de trouver une solution sur le fait cambodgien et par la même, probablement, de réconcilier à terme le Vietnam et la Chine, le grand voisin.

Le Courrier du Vietnam a eu un entretien avec Claude Blanchemaison, le 27 juin à Hanoi. Photo : Phuong Mai/CVN

Ceci est le premier point après mon arrivée. La deuxième chose, ce sont les événements en Europe avec, à l’automne, la chute du mur de Berlin qui a conduit à l’implosion du bloc soviétique et, finalement, au changement de régime à Moscou. L’union soviétique cédait sa place à la Fédération de Russie. Tout a été compliqué pour le Vietnam qui était un partenaire important. La République démocratique d’Allemagne a disparu très peu de temps après la chute du Mur. Le Vietnam devait donc diversifier ses relations extérieures, ouvrir son économie et en même temps mettre en place l’économie de marché. Je crois qu’on a essayé dans la mesure du possible d’aider le Vietnam à trouver sa place en Asie et dans le monde. On a aussi probablement essayé de faire en sorte que le Vietnam s’adapte à l’économie de marché, d’abord en ouvrant des coopérations au niveau des États, des ministères des Finances et des ministères de la Justice. Nombre de contacts ont été établis entre les fonctionnaires français du ministère des Finances et leurs homologues vietnamiens pour aider à élaborer le Trésor public ainsi que des finances publiques compatibles avec l’économie de marché.
Même chose avec le ministère de la Justice où il fallait élaborer le Code du commerce, les règles du jeu de l’économie de marché qui étaient des règles nouvelles au Vietnam. Beaucoup de magistrats spécialisés sont venus au Vietnam pour discuter avec le ministère de la Justice. Et puis il faillait aussi former de futurs cadres, les entreprises avec d’un côté les entreprises publiques et de l’autre, les entreprises privées. Et assez vite, les Vietnamiens ont formulé la demande de créer une business-school franco-vietnamienne, le Centre franco-vietnamien de formation à la gestion (CFVG), qui existe depuis cette époque et qui s’est beaucoup développé, y compris à Hô Chi Minh-Ville. Voilà ce que nous avons fait pendant cette période. En février 1993, il y a eu enfin la visite d’État de François Mitterrand, qui était la première visite d’État d’un président de pays occidental à Hanoi. C’était évidemment un événement. Je crois que cela a marqué le point de départ d’une nouvelle ère.

"Je retrouve l’âme vietnamienne", a dit Claude Blanchemaison.

De retour 23 ans après votre mandat au Vietnam, que ressentez-vous?
Les émotions... Tout le monde m’a posé cette question. Est-ce que le Vietnam a beaucoup changé? Bien sûr, puisque c’est beaucoup plus moderne, il y a beaucoup plus de vespas, d’automobiles dans les rues, moins de vélos, beaucoup de bâtiments nouveaux, de grands bâtiments. Mais je me demande si l’atmosphère a tant changé. Je retrouve un peu l’âme de Hanoi que j’ai connu il y a un quart de siècle. Quand je me promène autour du petit lac, dans les 36 rues de la vieille ville, je retrouve l’âme vietnamienne. Les gens sont toujours souriants, très ouverts, entreprenants et plein d’idées, et je pense que le pays s’est beaucoup développé depuis.
Vous avez apporté une contribution massive aux relations bilatérales. Comment voyez-vous le futur de ces relations ?
Comme je vous l’ai dit, la France a contribué à éviter que le Vietnam ne se retrouve isolé, de quelque façon que ce soit. La France a contribué sans doute également à son ouverture souhaitée par le gouvernement vietnamien. Et cette ouverture a eu lieu. Les Américains ont levé l’embargo, certes tard en 1995, mais ils l’ont levé.
D’autres pays sont venus aussi coopérer très activement avec le Vietnam. Ce qui fait qu’aujourd’hui, le Vietnam est un marché très concurrentiel, très compétitif, comme nous l’avions, dans le fond, souhaité. Aujourd’hui, la France joue son rôle. Si sa place n’est pas très grande en termes de marché, elle l’est beaucoup plus en termes d’investissements et de formation. Beaucoup de jeunes Vietnamiens viennent se former dans les grandes écoles et dans les universités françaises, et nous souhaitons qu’il y en ait toujours plus.

Vous êtes également l’auteur de La Marseillaise du Général Giap, qui était vice-premier ministre à l’époque où vous étiez ambassadeur. Quelle a été sa force symbolique sur l’histoire des relations entre le Vietnam et la France ?

Couverture du livre La Marseillaise du Général Giap.

Comme je vous l’ai dit, je suis arrivé au printemps 1989 et il se trouve que la Fête nationale française, c’est le 14 juillet. Pour nous, c’est important. On fait toujours aux ambassades de grandes réceptions ce jour-là. De plus, en 1989, le contexte était tout à fait particulier puisque c’était le bicentenaire de la Révolution française. Lorsque j’ai fait des visites au nom du gouvernement, auprès du général Giap bien sûr, je lui ai dit : «Il faut que vous veniez à notre ambassade le 14 juillet parce que c’est le bicentenaire de la Révolution française». Le général Giap ne m’a pas répondu mais a entendu. Le matin même du 14 juillet, j’ai reçu un appel du ministère vietnamien des Affaires étrangères me disant que le général Giap, qui était à l’époque vice-Premier ministre, participerait à la réception que je donnais ce soir à 18 heures, et qu’il fallait être à la porte dans l’attente de sa venue. Il est finalement arrivé avec son épouse. Il était en civil. Bien sûr, il s’est exprimé dans un français parfait et après avoir discuté quelques temps dans ma résidence, nous sommes allés saluer des invités. Les plus de 2.000 personnes présentes ce soir-là à l’ambassade étaient très surprises de voir le général Giap, un personnage historique considérable, et qui n’était encore jamais venu ici. Nous avons écouté les hymnes nationaux. Le général m’a dit : «Moi, j’aime bien La Marseillaise parce que c’est un chant révolutionnaire. Donc j’ai l’habitude de la chanter» et peut-être a-t-il murmuré La Marseillaise et le chant national vietnamien... Puis j’ai prononcé un discours comme on a l’habitude de le faire pour les fêtes nationales. Le général Giap a fait un discours en français disant que le Vietnam a entrepris de grands changements et qu’il faut que les entreprises françaises viennent et prennent le pas de ce changement. La concurrence va très vite se développer. Il faut que les entreprises françaises soient les premières à venir sur ce marché. Il a lancé un appel aux investisseurs français et, à nouveau, à la participation de la France.
C’est un geste symbolique très important, on en retrouvera une trace pendant la visite d’État du président François Mitterrand au mois de février 1993, puisque le général Giap a eu l’occasion à s’entretenir avec lui au cours de cette visite.

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