Régater sur une commode Louis XV, avec l'obligation de la conserver dans son jus, c'est un peu le défi des neuf copropriétaires de Lulu, cotre aurique de 14 mètres, qui fait partie de la centaine de bateaux français classés monument historique. D'une rare élégance, le voilier construit en 1897 à Argenteuil, a été dessiné par Thomas Rabot, un élève du peintre impressionniste et architecte naval Gustave Caillebote.
Le +Mariquita+ qui concourt dans la catégorie des voiliers de traditions croise, le 05 octobre 2006, lors des Voiles de Saint-Tropez. |
"Naviguer sur un tel bijou, c'est, contrairement à ce qu'imaginent beaucoup, un luxe accessible", confie René-Yves Etter, 81 ans, qui avec huit autres amis possède une part fixée à 12.000 euros. "Quant à l'entretien, annuel, il revient à environ 10.000 euros. On n'a pas d'impératif de temps, la seule obligation c'est de le maintenir en l'état. On travaille donc avec des gens qui ont aussi le temps, car simplement pour refaire chaque année les vernis, il faut passer de 12 à 15 couches", explique ce Parisien qui navigue "une dizaine de jours pas an" sur Lulu.
Si le classement monument historique leur interdit de vendre le voilier à l'étranger ou même de le louer, il leur permet en contrepartie de toucher des subventions, jusqu'à 50% du coût, pour refaire le pont ou le lest.
Tout comme Lulu, quelque 300 voiliers, dont la moitié étant des bateaux de tradition, prennent part jusqu'au 5 octobre à la 15e édition des Voiles de Saint-Tropez, héritières de la Nioulargue, créée en 1981. Plus grand rassemblement au monde de voiliers historiques, les voiles, comme le disent les initiés, réservent toujours des surprises, comme en 1995 avec le retour de Kentra, ce voilier classique sur lequel Brigitte Bardot avait passé beaucoup de temps lors du tournage du film culte Et Dieu créa la femme.
Label BIP
"En relançant les régates de voiliers de tradition, cela a suscité des envies et pas mal d'armateurs ont à cœur d'entretenir ce qu'ils ont entre les mains, explique André Beaufils, président des Voiles. Cela a donc aussi contribué à développer une économie autour". "La filière maintenance des bateaux classiques ou de croisière se porte plutôt bien", assure François Carpente, directeur technique du groupe Monaco Marine, dont le chantier à Cogolin est "très sollicité en début de saison quand les voiliers viennent faire leur toilette mais aussi tout au long de l'année car il y a de plus en plus de bateaux restaurés".
La fille du navigateur Eric Tabarly, Marie (2e à gauche) et sa mère (gauche) naviguent à bord du voilier +Pen Duick+, le 05 octobre 2006, lors des Voiles de Saint-Tropez. |
Photo : AFP/VNA/CVN |
Parmi les voiliers présents à Saint-Tropez, nombre d'entre eux possèdent le label Bateau d'intérêt patrimonial (BIP), accordé depuis 2007 par la Fondation du patrimoine maritime et fluvial, dirigée par Gérard d'Aboville.
C'est le cas de Nan of Fife, cotre de course, plus ancien voilier encore sur l'eau du fameux architecte écossais William Fife. Pour acquérir ce voilier de 24 mètres, qui avait appartenu à son grand-père anglais jusqu'en 1952 et qui était tombé à l'état d'épave, Philippe Menhinick a vendu sa maison et construit un chantier pour le restaurer.
"Je l'ai retrouvé par hasard sur internet, il se trouvait alors au Cap d'Agde. On y était tellement attaché que je n'ai pas pu le laisser pourrir. Ma grand-mère avait vendu sa bague de fiançailles en 1951 pour payer des travaux d'entretien du voilier", explique M. Menhinick. L'homme qui était antiquaire de marine, vit désormais de son bateau. "Je ne suis pas fortuné. Je fais tout à bord, l'entretien, les vernis et en plus, je suis skipper pour les clients à qui je le loue".
Nan of Fife croisera dans la baie de Pampelonne de nombreux autres bateaux labellisés BIP, comme Jour de Fête, datant de 1930, Nin (1913) ou Viola (1908), "une petite communauté, qui, explique Pascale Bladier-Chassaigne, déléguée générale de la Fondation, rassemble des propriétaires qui n'ont pas les mêmes moyens mais qui ont les mêmes valeurs".
AFP/VNA/CVN