Visages d’une époque

Voici glanées dans le Carnet An 1962 de Huu Ngoc des images de la vie quotidienne d’un passé récent de la République démocratique du Vietnam (Nord Vietnam).

Souvenirs de l’entre-deux-guerres période éprouvante faite de pénurie et de privation, mais aussi d’exaltation et d’espérance. L’indépendance n’avait été reconquise qu’en 1945. Le pays divisé depuis huit ans au terme d’une dure guerre anti-coloniale (1945-1954) se relevait péniblement de ses ruines alors que la première bombe américaine l’atteindrait en 1964.

Un grand magasin d’État au coeur de Hanoi.

Un dompteur

Un jeune éléphant s’amuse à balancer sa trompe. Près de là, deux singes s’entraînent sur de tout petits vélos. Des chevaux hennissent dans l’écurie. Deux buffles à la peau luisante se promènent dans la cour.

Je vais directement à l’enclos des fauves, tout au fond du parc des animaux du Cirque populaire national. Là, derrière une grille de fer, Hoàng Chân et son élève, Melle Tôn Thiêu Hoa, font répéter un nouveau numéro à un couple de lions venus du Zoo de Berlin il y a un an. Un fouet à la main, les yeux vifs le ton à la fois autoritaire et affectueux, le dompteur donne des ordres brefs aux deux fauves qui, docilement, montent sur une table, s’y assoient posément, puis en descendent et y remontent plusieurs fois.

- J’ai mis à peu près deux mois pour faire leur connaissance et pour leur apprendre ces premières leçons, me dit Hoàng Chân dans son bureau, lorsqu’il a fini la répétition.

- Deux mois seulement ? dis-je, étonnée. Vous devriez avoir eu beaucoup d’expériences dans le dressage des animaux.

- Pas tellement. Il y a à peine deux ans, j’étais encore dans l’armée.

- Et auparavant ?

- Je travaillais la terre.

Âgé de 38 ans, Hoàng Chân est originaire du Binh Dinh, au Sud Vietnam. Il s’engagea dans l’Armée populaire en septembre 1945, lors de l’agression des colonialistes français dans cette partie du pays. Neuf années durant, il combattit dans une unité d’infanterie qui se regroupa au Nord après la conclusion des Accords de Genève sur l’Indochine. C’est dans la paix retrouvée qu’il commence à pratiquer l’athlétisme et devint un amateur des barres et des anneaux. Ayant vu un jour des acrobates se produire en public, il s’enthousiasma pour le cirque et fonda un groupe d’acrobates amateurs dans son unité.

Un magasin reconstitué lors d’une exposition sur la vie hanoïenne pendant la période de l’économie subventionnée.

- Nous nous entraînions sérieusement, dit il. Chaque année, je passais mon congé annuel au Cirque populaire national où j’avais quelques amis, afin d’apprendre auprès d’acrobates rompus au métier. À ma démobilisation, on m’y embauche. Six mois après, la Direction se propose de faire de moi un dompteur.

- Pourquoi ce changement si brusque ? demande-je.

- Tout simplement parce qu’on a besoin de dompteurs. Notre troupe a un dompteur connu dans tout le pays, Ta Duy Hiên. Il a été décoré de l’Ordre du Travail par notre Assemblée nationale. Seulement, il a déjà dépassé le cap des soixante-dix ans.

- Pouvez-vous me dire un mot sur votre formation professionnelle ?

- Eh bien je me suis formé tout seul, en suivant la méthode du maître-dompteur soviétique Boris Eder. J’ai tâché tout d’abord de conquérir la sympathie des fauves qui me sont confiés et d’en faire de véritables amis. Tout en leur donnant à manger et en m’occupant d’eux, je les ai initiés aux numéros que j’avais conçus.

- Vous pourriez sans doute me citer un cas comme exemple ?

- Pour commencer, je suis tombé sur une panthère exceptionnellement féroce. En me voyant devant sa cage, elle montrait ses crocs et asseyait de m’attaquer. J’ai dû lui donner à manger à l’aide d’une longue baguette que je raccourcissais peu à peu à mesure qu’elle manifestait moins de méfiance à mon égard. Je restais de jours entiers à lui parler doucement. Après plusieurs semaines, remarquant qu’elle était déjà habituée à mon allure et à ma voix, je lui tendis un gros morceau de viande qu’elle prit goulûment sans toutefois me blesser. Plusieurs jours après, je lui donnai à manger dans la main et lui caressai la tête. Elle se laissa faire. Je compris alors que la partie était gagnée. Après dix semaines j’ai pu la prendre dans mes bras et me produire avec elle devant le public.

- Vous n’avez jamais usé de violence ?

- Rarement. Deux fois, j’ai dû le parce qu’elle m’a attaqué et blessé, au bras. Mais nous avons vite fait la paix. J’ai réalisé par la suite que les panthères, très méprisantes, peuvent dans certaines cas mal interpréter un geste du dompter et se jeter sur lui…

Une vendeuse au grand magasin d’État de Hanoi

Thuy Hoa est vendeuse au rayon de chaussures du Grand magasin d’État de Hanoi. Croyez-moi, ça n’a pas été facile d’avoir quelques minutes d’entretien avec elle, car il y a toujours affluence à son rayon. Le temps étant précieux, je suis entré tout de suite dans le sujet.

- Depuis combien de temps exercez-vous le métier de vendeuse, Mademoiselle Thuy Hoa ?

- Depuis trois ans. C’est-à-dire après mon rapatriement de Thaïlande en 1959.

- Vous étiez alors très jeune ?

- Oui, j’avais dix-huit ans et étais inexpérimentée. Ce qui fait que cela n’allait pas toujours tout seul. Je dois même vous avouer, me dit-elle en souriant, que devant les difficultés, un jour de mes débuts j’ai pensé à demander ma démission. Mais mes collègues m’ont beaucoup aidée et un jour je suis tombée sur Et l’acier fut trempé de N. Ostrovsky. C’est alors que je suis revenue sur mon idée.

Aujourd’hui, Thuy Hoa est une vendeuse d’élite. Chaque année, son nom figure au tableau d’honneur du magasin.

- On m’a dit que vous avez contribué 25 initiatives au magasin et réalisé une économie de 1.000 dôngs pour la caisse.

- Oui. À notre rayon, nous avions des centaines de paires de chaussures mises au rebut à la suite de nombreux essayages qui avaient sali les semelles de crêpe. Pendant les heures de pause, j’ai nettoyé les semelles avec du savon et ces chaussures ont pu être remises en vente.

- J’ai entendu dire qu’on vous appelle «conseillère de l’habillement». Pourquoi cela, Mademoiselle ?

- Ah ! c’était au temps où je m’occupais de la vente des étoffes. Les clients nous demandaient combien il fallait de mètres pour confectionner une chemise, une robe, un vêtement d’enfant… Mes collègues et moi, nous étions souvent bien embarrassées pour répondre. Un jour, j’emmenai ma petite sœur chez une couturière pour lui demander de prendre ses mesures et de me dire combien il fallait d’étoffe pour la confection d’un corsage et d’un pantalon. Puis, je demandai le nombre de mètres nécessaires pour les vêtements de femme et d’enfant de différents âges. Pour les vêtements d’homme, je me renseignai chez un tailleur. Je pus ainsi satisfaire tous les clients en leur évitant un gaspillage de temps et d’argent. C’est pour cela que mes collègues m’ont surnommée «conseillère de l’habillement».

- Mais, les clients étant si nombreux, pouvez-vous toujours satisfaire leurs demandes ?

- Cela ne va pas sans difficulté. Surtout pour les chaussures. Un jour, j’étais particulièrement embarrassée : un soldat me demanda une pointure qui n’existait plus dans le magasin. Il aurait dû repasser. Pour lui éviter une perte de temps, je lui demandai de me laisser son adresse. Peu après, je l’avertis qu’il y avait les chaussures qu’il désirait. Ah ! Permettez.

Puis s’adressant à un client :

-Vous désirez, Monsieur ? Une paire de chaussures à semelles de crêpe ! Oui ! Quelle pointure ?

Thuy Hoa prend un carton sur l’étalage avec un sourire à mon égard qui semble être une excuse. Je dois la laisser à ses clients ce n’est pas sans regret que je remets mon stylo dans ma poche.

Huu Ngoc/CVN

 

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