Jean Claude de l’Estrac, ancien ministre des Affaires étrangères de l’île Maurice, secrétaire général de la Commission de l’océan Indien, et c |
Mais surtout, comme le souligne le chercheur français Jean-Joseph Boillot, «les deux tiers du capital humain mondial se trouveront dans ce triangle des géants d’ici 2030».
Dans cet univers en recomposition, les pays gagnants de demain seront ceux qui parviendront à s’insérer harmonieusement dans cette géo-économie Sud-Sud inédite.
Quel espace sera réservé à la langue française et aux pays d’expression francophone dans ce chamboulement majeur de la scène internationale? Comment s’inscrire dans ce nouveau paysage comme force d’accompagnement innovante et proactive?
J’ai la conviction que les évolutions démographiques et économiques de l’Afrique et de l’Asie permettent à la Francophonie de jeter un pont entre ces deux espaces majeurs de croissance.
Dans cette vision, les pays francophones d’Asie du Sud-Est, en particulier le Vietnam, principale puissance francophone de l’ASEAN, occupent une place de choix. Le Vietnam est déjà très présent dans les échanges Afrique-Asie. Qu’on en juge : dans la première décennie du siècle, les échanges commerciaux entre Hanoï et le continent africain ont cru de 31% par an et les échanges commerciaux, quasi inexistants en 1995, ont atteint 4,3 milliards de dollars en 2013 ! Sur le plan de l’appui technique, plusieurs centaines de coopérants vietnamiens sont aussi présents sur le continent africain.
Ces échanges en grande mesure intra-francophones sont aussi en prise directe sur les grandes orientations de la croissance mondiale. Pourtant les obstacles techniques, telle que l’absence de partenariat direct entre les banques commerciales des pays francophones du Mékong et celles des zones africaines UEMOA et CEMAC, ou l’impossibilité d’utiliser des instruments de règlement aussi classiques que les crédits documentaires, sont encore trop nombreux.
Face à cette situation, notre organisation francophone doit contribuer à valoriser et à appuyer cette création de richesse en pleine phase de décollage qui constitue une facette prometteuse de la Francophonie économique.
Sous la conduite remarquable du président Abdou Diouf, la Francophonie a commencé à s’intéresser à cette question. De façon symbolique, le «Pacte de Hanoi», scellé lors du fameux Sommet de 1997, marquait aussi l’affirmation de cette convergence de vue entre l’Afrique et l’Asie francophones. Je souhaite désormais en faire un axe systématique de l’action de notre organisation et l’une des premières missions de l’Agence de promotion des investissements de la Francophonie que je propose de créer avec l’appui du secteur privé. Une conférence francophone ASEAN-Afrique, au sein de laquelle le Vietnam, le Cambodge et le Laos tiendraient à l’évidence une place éminente, pourrait être réunie rapidement sous les auspices de l’OIF pour donner un cadre politique dynamique à ce qui demeure encore un mouvement spontané des opérateurs économiques.
La consolidation des compétences par le développement de l’enseignement à distance du français technique et commercial permettra aussi aux entrepreneurs, techniciens et ingénieurs d’Asie et d’Afrique francophone de parler le même langage en dépassant leur éloignement géographique et culturel.
Né à Maurice, pays africain par sa géographie, asiatique en partie par son peuplement et ouvert sur l’océan Indien, je sais que ce dialogue-là sera fécond pour l’Afrique comme pour la zone du grand Mékong. Avec l’aide de la Francophonie, cet échange contribuera à lancer de nouvelles pistes de croissance, d’innovation et de dialogue des cultures dans un monde qui en a un infini besoin.
Jean Claude de l’Estrac/CVN