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Cette semaine, je vous emmène faire un tour au marché du coin qui, déjà sympathique, a de fortes chances de devenir super ! En effet, sacrifice inéluctable aux Génies de la Consommation ou évolution sociale et économique obligée, les étals de marchés laissent progressivement la place aux vitrines des supermarchés.
Sensualité !
En voie de disparition. Photo : CTV/CVN |
On ne va pas faire dans la nostalgie, mais quand même ! Qu’est-ce que je les aime ces lieux de rencontres, fleurant bon les odeurs de légumes fraîchement coupés et d’épices mystérieuses aux noms imprononçables, où l’on peut trouver tout ce qui est nécessaire à la vie quotidienne, du vêtement de travail au balai en paille de riz.
Les odeurs vous sautent aux narines pour vous infuser des harmonies olfactives dont vous cherchez désespérément le souvenir, mais qui suffisent à vous faire saliver de curiosité !
Les couleurs, pas en reste, s’assemblent en un kaléidoscope qui vous chatouillent agréablement l’iris et vous donnent l’impression d’avoir le regard de Monet...
Dans ce ballet des sens, vos oreilles apportent en contrepoint les rumeurs sourdes, les éclats de voix et les claquements secs qui accompagnent les ménagères affairées ou les touristes curieux. Ici, on se frôle, on se pousse, on s’évite et on se bouscule, en incessant va-et-vient sous l’oeil impavide des vendeuses qui trônent au milieu de leurs marchandises. Marchandise ! Le mot est prononcé... Le marché, c’est l’endroit où l’on trouve marchandise à son panier. Et qui dit marchandise, dit marchandage ! Et ça, c’est un des vrais plaisirs du petit marché de quartier ! Art aussi vieux que les marchés, et auquel je m’adonne régulièrement...
Démesure !
Comme aujourd’hui ! Je me faufile dans les allées entre les étals, à la recherche de l’impossible ustensile de cuisine que ma femme m’a demandé d’aller acheter. Après avoir zigzagué, bousculé et louvoyé, je parviens à l’allée du matériel ménager. J’ai en main l’ustensile convoité… et en bouche la fameuse phrase qui doit permettre à la marchande de me donner le prix à payer. Prix qui me fait vaciller dans l’expectative ! Mes amis et mon épouse m’ont toujours dit que de tout façon le prix annoncé est souvent trop élevé et que je peux négocier à la baisse. Oui, mais quelle baisse ? Est-ce que je sais, moi, combien ça vaut honnêtement ce truc que j’ai en main ? Est-ce que je sais, moi, combien d’heure de travail il a fallu pour le fabriquer, combien coûte la matière première, les charges de personnel, le prix de location du stand sur le marché, les taxes à payer, la marge consentie ? C’est pas moi le comptable, moi je suis le marchandeur, celui qui veut acheter sans se faire rouler, et comme je suis d’un naturel honnête, sans rouler le marchand !
Alors, on fait quoi, maintenant ?
Balade en famille dans un temple de la consommation. Photo : Dinh Huê/VNA/CVN |
Avant, j’avais la bonne vieille technique utilisée par tous ceux qui s’imaginent plus malins que les autres et qui pensent avoir fait une bonne affaire en divisant le prix par deux et en se disant que ça ne passera pas, mais qu’on pourra toujours gagner au moins 30%. Calcul mathématique qui ne prend en compte ni l’humeur de la commerçante, ni la réalité du coût de l’objet, ni la provenance réelle dudit objet. Je conseille à tous ceux étrangers au mode de marchandage hors des frontières européennes de bien peser ce dicton : «À malin, malin et demi !». En ce qui me concerne, je ne me fais pas d’illusion sur le bien fondé du prix que je négocie. Si la marchande me laisse partir à ce prix, c’est qu’elle fait une bonne affaire ! Normal après tout !
Mais, parfois, il m’arrive d’utiliser un artifice redoutable. Profitant de la présence de mon épouse à proximité, je vais seul tenter de faire l’achat, en proposant un prix «à la vietnamienne», sachant que l’étranger que je suis n’y aura pas droit. Je refuse donc d’acheter et rejoint mon épouse un peu plus loin, qui à son tour va effectuer le même achat, et qui bien sûr obtient le prix local. Alors, mine de rien, au moment du règlement, je m’approche et annonce souriant à la commerçante que c’est ma femme et que la prochaine fois il faudra qu’elle me fasse le même prix ! En général, après une seconde de stupeur, la vendeuse éclate de rire, ce qui scelle entre nous les prix futurs !
Curiosité !
Ces petits plaisirs sont aujour-d’hui remplacés par d’autres...
Dans les quartiers, les auvents du marché laissent la place aux murs de verre des supermarchés. Les étalages deviennent vitrines, les marchandises deviennent produits, les vendeuses devien-nent caissières ou managers...
Pour le moment, nouveauté étant, on y vient en famille, comme ces promenades dominicales où les parents traînent derrière eux des enfants qui préfèreraient s’amuser avec les copains ! Sauf que ici, c’est un vrai parc d’attractions pour grands et petits...
Les enfants peuvent laisser libre cours à leur soif de tout voir. Là on joue à ouvrir et fermer les portes des frigos, plus loin on s’intéresse au fonctionnement d’un autocuiseur, ailleurs on fouille dans des monceaux d’habits judicieusement disposés en tête de gondole. Au rayon frais, on regarde ces drôles de fromages qu’avalent si régulièrement les Occidentaux ; puis on part observer avec attention la préparation des plats cuisinés par d’immaculés marmitons.
Partout, flottent des airs de musique, ritournelles, refrains connus, qui donnent à la promenade un air de kermesse. Ici, tout est super... Le superflu que l’on trouve dans les rayons, le superlatif des réclames qui claquent en panneaux roses et jaunes, le superviseur qui contrôle ce qui se trouve dans votre chariot après le passage en caisse. Oui, sans doute, tout cela est-il super-chouette, mais j’avoue qu’au rationnel marchandisage, je préfère l’âpre marchandage !
Et si on joignait l’utile à l’agréable : le supermarché pour les achats, le marché pour les emplettes !
Gérard BONNAFONT/CVN