Vous êtes en plan ?

Pays d’histoire et de culture, le Vietnam attire sans cesse de nouveaux visiteurs venus des quatre coins du monde. Impossible de ne pas en croiser un dans les rues des villes. Et parfois, se croiser signifie être sauvé, tout en sauvant les apparences ! Petit cours de sociologie touristique impertinente…

Entre le promeneur et le touriste, il existe deux différences fondamentales. Le premier a les mains libres ou dans les poches et une chemise flottant librement sur son dos. Le second a un sac greffé à la colonne vertébrale et les mains occupées par un plan ou livre-guide. Laissons de côté l’excroissance dorsale de toile et de nylon pour une prochaine chronique. Aujourd’hui, je me penche sur l’utilisation et la pertinence des accessoires manuels !

Le guide de voyage, l’indispensable vade-mecum des routards de tous âges.
Photo : CTV/CVN


De l’utilité d’un plan !
Ils sont là, sur le bord du trottoir, hésitants à traverser ce fleuve de véhicules indifférents à leur détresse. Elle s’agrippe à son bras, terrifiée de devoir affronter une fois de plus cette épreuve pour atteindre l’autre rive. Lui se veut rassurant : c’est l’homme, il doit être fort ! Il lui prend la main et, faisant de son ventre bedonnant un rempart à sa moitié, il l’entraîne dans le maelström pétaradant…
Ils avancent d’une démarche incertaine, petit îlot de chair que le flot de métal contourne in-extrémis. Un dernier pas salvateur et les voilà de l’autre côté. Le cœur encore palpitant, étonnés d’être toujours en vie, ils se mettent à l’ombre d’une façade. Fébrile, il consulte le plan de ville, récupéré à l’hôtel ou acheté à un quelconque marchand ambulant.
Comme un scout cherchant son azimut, il pirouette sur place pour orienter sa carte dans le bon sens et cherche désespérément des points de repère pour pouvoir se situer. Quelle rue prendre ? Dans quelle direction ? Soudain, son regard se fige, il pâlit. Non, ce n’est pas possible, il doit se tromper ! Ce serait trop horrible ! Il a besoin d’une confirmation. Il arrête un passant, lui indique sur le plan l’endroit où il veut se rendre. Et la direction que lui désigne son interlocuteur le crucifie : il ne fallait pas traverser ! Dans un état second, il remercie, et se tourne vers sa femme. Elle a compris, elle sait ! Il le voit dans ses yeux. Comme il lui fait mal ce regard mi-désespoir, mi-haine ! Misérable, il lui prend la main et, ventre en avant, il replonge dans le torrent polluant qui déferle sur eux…
Combien de fois ai-je pris en pitié ces touristes en perdition, livrés à eux-mêmes dans une ville du Vietnam, accrochés à leur plan comme à une bouée ! Combien de fois me suis-je imaginé le misérable plan, froissé, déchiré, moite d’une sueur anxieuse, finissant sa vie le soir à l’hôtel, roulé en boule dans le fond d’une corbeille blasée ! Aussitôt remplacé par un nouveau plan de papier glacé qui accompagnera l’errance de ses propriétaires pour finir comme son prédécesseur le prochain soir venu ! Ou bien rejeté définitivement au profit d’un plus encombrant, mais tellement plus rassurant, livre-guide !
De l’utilité d’un livre-guide !
En effet, facile quand on lit un livre-guide de se rendre depuis son hôtel au Temple de la Littérature à Hanoi, à la Cité impériale de Huê, ou au grand marché de Cho Lon à Hô Chi Minh-Ville ! Facile sur le papier ! Mais moins facile quand il faut se repérer dans des rues dont le nom n’est pas toujours évident à trouver, et parfois peu facile à lire pour des néophytes. Qu’importe, il y a le petit guide de conversation! Alors, on interpelle le premier passant et, en suivant la lecture phonétique, on tente de demander son chemin. Regard étonné du passant qui ne comprend pas pourquoi on s’adresse à lui en patagon, alors que l’on est au Vietnam ! Bien sûr, il y a toujours la roue de secours de l’anglais international qui est à la langue anglaise ce que l’orge est au café en période de disette ! Évidemment, entre langage des signes et dialecte touristico-mondial, on peut arriver vaille que vaille au site convoité…

Attention ! La carte n’est pasle territoire.


Mais il faut aussi compter avec un autre paramètre : la distance. Au Vietnam, les distances ne se comptent pas en mètres ou en kilomètres, mais en durée. Car un kilomètre sur les larges trottoirs dégagés d’une avenue, ce n’est pas un kilomètre sur les bouts de trottoirs encombrés de motos, tables, chaises et marchandes ambulantes d’un centre-ville. Combien de touristes se sont-ils ainsi promis de visiter toute une ville, pour au bout d’une journée s’apercevoir qu’ils n’ont visité qu’un quartier ? Forçats de la visite, ils arpentent les trottoirs, passant d’un site à l’autre, marmonnant un mantra : «Faut y aller avant que ça ferme ! Faut y aller avant que ça ferme !...».
Stakhanovistes de la découverte, ils se perdent dans des ruelles impossibles, errent dans des labyrinthes urbains, qui pourtant paraissent tellement limpides sur les plans ! Souvent, je remets sur la bonne route des compatriotes perdus loin de tout, dégoûtants d’eau ou de sueur, cherchant désespérément un lieu indiqué sur leur guide, mais qui se trouvent à des années-lumière du quartier où ils se sont perdus ! Souvent, j’explique que oui, c’est bien écrit sur le guide, mais que non, depuis un an ça n’existe plus !
Parfois même, si je n’ai aucune occupation immédiate, je propose mes services, quand la personne me paraît sympathique ou à deux doigts de l’abandon par forfait. Pour l’occasion, je me transforme en guide, en faisant partager mes bons plans ! J’ai au moins le plaisir de voir le regard, quelques minutes plutôt rivé à des pages noircies, flotter librement, pour explorer des recoins ignorés. En quelques instants, le plan ou le guide disparaît dans le sac, seule marque distinctive restante d’un touriste devenu promeneur...
Comme je le disais au début : le Vietnam est un pays d’histoire et de culture, et pour le bien découvrir, il vaut mieux éviter de tomber en plan !

Gérard BONNAFONT/CVN

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