On s’enracine !

On dit souvent d’une ville que ses poumons sont les parcs par lesquels elle respire... Si c’est le cas, Hanoi a de quoi concourir pour n’importe quel marathon ! Entre ses parcs, ses places, ses avenues, ses allées, Hanoi peut s’enorgueillir de posséder un beau réservoir de chlorophylle !

Dès qu’il tombe quelques gouttes, inutile de se précipiter sous un porche : il y a toujours une frondaison accueillante pour éviter de transformer la permanente en serpillière. Il y en a même qui les ont comptés, ces frondaisons : près de 45.000 ! Difficile d’y échapper ! Et en plus d’être en nombre, messieurs les arbres jouent la diversité culturelle : près de 180 espèces différentes, fruitières, médicinales, résineuses... De quoi faire frémir de plaisir les botanistes du monde entier !

En ce qui me concerne, mon rapport avec les arbres de Hanoi est plutôt une histoire d’amitié. Comme on peut avoir de vieux copains que l’on aime retrouver pour évoquer le bon temps ou parler de tout et de rien, j’ai quelques vieux potes sylvestres que je croise de temps en temps. Potes d’autant plus fidèles que je suis certain de les retrouver toujours au même endroit, sauf si un de ces jours ils me font une infidélité avec une tronçonneuse ! Permettez que je vous en présente un ou deux !

De ciel en terre !

Celui-ci est un banian vénérable, au tronc tourmenté par les siècles. Il laisse tomber ses racines sur le trottoir de la rue Hàng Gai, sans grand espoir de pouvoir percer cet asphalte, ennemi juré de tous les arbres du monde…

La première fois que je l’ai rencontré, c’est quand je découvrais la ville peu de temps après mes premiers pas au Vietnam. Jusqu’alors, pour moi, un arbre c’était un tronc avec des branches apparentes et des racines mystérieuses, cachées sous la terre. Et là, brusquement, je me trouvais face à des racines aériennes qui flottaient devant mes yeux ébahis ! De quoi remettre en question la logique cartésienne qui avait présidé à tout mon savoir scientifique. Laquelle logique s’en est trouvé encore plus perturbée quand j’ai aperçu dans les circonvolutions du tronc des statuettes de bouddha disposées au hasard d’excavations et de nœuds du bois. Pire encore, au détriment de toute sécurité, des bâtons d’encens se consumaient lentement à quelques millimètres d’une écorce certainement inflammable !

J’ignorais que je me trouvais devant ce vieux banian qu’admire tant Huu Ngoc, ce maître incontesté de l’histoire de Hanoi, et par qui j’appris plus tard que l’on suspendait autrefois «aux racines adventives de cet arbre des vases de chaux éteintes pour le culte des âmes errantes». Sacré et vénéré, ce ficus prolixa (!) est toujours présent au 83 rue Hàng Gai. Si vous passez sous ses racines (magnifique expression n’est ce pas !), laissez votre imagination vous porter plusieurs siècles en arrière, quand, jeune pousse, il pouvait voir vaquer à leurs occupations quotidiennes les habitants d’un tout petit hameau, Cô Vu, qui était loin de savoir qu’un jour il ferait partie de la capitale du Vietnam !

Des racines qui en ont vu !

De sol en air !

Autre lieu, autre ami au vert feuillage ! Là-bas au bord du lac Hoàn Kiêm, à quelques encablures du début de la rue Tràng Tiên, se trouve un flamboyant qui, comme son nom l’indique, flamboie et rougeoie fièrement au mois de mai, quand les fleurs volent au vent ainsi que le dit la chanson. Ce n’est pas pour ses grappes de fleurs rouges qu’il a marqué mon esprit, mais tout simplement parce qu’il m’a occasionné un de ces grands moments de solitude dont on se souvient toute sa vie !

C’était lors d’une de ces promenades familiales où ma fille profite éhontément de ma faiblesse paternelle pour exiger la lune. En l’occurrence, il s’agissait d’une énorme tête de crocodile, gonflée à l’hélium, et qu’elle avait repérée au-dessus d’un amoncellement d’aérostats du même genre portés par une pauvre femme qui tentait de les vendre en tentant les enfants! Quittant ses confrères plus légers que l’air, le crocodile est venu flotter au-dessus de ma fille, retenu à la terre ferme par un ridicule fil de coton qu’elle tenait tant bien que mal, ou plutôt mal que bien, puisque après quelques pas, le saurien a décidé de jouer la fille de l’air. Alors que devant les yeux emplis de larmes naissantes de ma fille, je courais les bras en l’air pour tenter de récupérer le rebelle, un vent mutin l’a poussé dans les branches de ce flamboyant dont je parle plus haut. Et bien me direz-vous, l’histoire se termine plutôt bien, puisqu’il suffisait d’aller le décrocher des rameaux dans lesquels il s’était emberlificoté. Trop simple ! En effet, accéder à ce stupide animal de papier et de gaz nécessitait de grimper à l’arbre. Chose strictement interdite, comme chacun peut le lire sur les plaques bleues disposées devant les arbres. Donc, respectueux de la loi, il ne me restait plus qu’à tenter l’impossible : m’élever d’un saut puissant jusqu’à la branche d’où je pourrais saisir le fil et faire venir à moi l’impudent ! Or, primo, je n’ai jamais excellé au saut en hauteur ; deuxio, la branche en question aurait nécessité que je sois bon au saut à la perche. Ce qui n’est également pas le cas ! Donc, sous cet arbre impavide qui ne faisait rien pour m’aider, je lançais des cailloux et des petits morceaux de bois pour essayer de faire décoller la baudruche. Pour un touchant le but, dix retombaient sur mon crâne ! Curieux de nature, de nombreux Vietnamiens s’étaient arrêtés pour s’intéresser à l’affaire, d’autres participaient avec moi à mes tentatives de récupération. Tout ça sous le regard définitivement larmoyant de ma fille, accompagné de hurlements dont je ne sais toujours pas s’ils étaient la manifestation d’un chagrin d’avoir perdu son crocodile ou la manifestation d’une affliction d’avoir un papa si ridicule ! Finalement, l’arbre a conservé le crocodile, le chagrin a été dissous dans l’acquisition d’une énorme cochon tout aussi gonflé, et un nouveau ridicule évité en faisant une grosse boucle autour du poignet de ma fille...

Comprenez que lorsque je passe devant cet arbre, il me vient souvent l’envie de lui donner un bon coup de pied au tronc !

Je pourrais aussi vous parler du grand badamier dont les fleurs caressent mollement mon balcon, du magnifique bougainvillier, toiture de ma courette, ou d’autres tout aussi remarquables. Mais laissons-les en paix parmi les milliers d’arbres de la capitale...

En tout cas, je sais maintenant pourquoi on peut dire à quelqu’un : «Comment vas-tu, vieille branche ?» !

Gérard BONNAFONT/CVN

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