Chaque année à la fin juin, une agitation digne des métropoles s'empare des rues pentues de la petite ville, où les passionnés de joutes taurines vont fêter jusque tard dans la nuit au son du tulum (cornemuse) et du kemençe (violon rustique) les exploits de leurs champions.
Précédés de 3 jours de libations, les combats ont lieu dans une arène érigée en pleine montagne, aux abords d'une forêt de sapins.
Répartis en 7 catégories de poids, les taureaux -ils étaient plus de 70 dimanche- s'y affrontent dans des corps à corps parfois épiques, quand 2 mastards se disputent rageusement la suprématie à violents coups de front et subtiles prises de cornes, parfois bouffons, quand un animal apeuré prend la fuite à travers la foule et les voitures garées aux alentours.
Les cavalcades font le bonheur des adolescents avides de sensations fortes mais ne sont pas exemptes de danger.
"Il y a des accidents tous les ans, quand les taureaux s'enfuient en chargeant la foule. Ca peut être vilain, avec des gens encornés. Une fois, un taureau a enfoncé sa corne sur 8 centimètres dans le ventre d'un spectateur", relate Selamet Bilgili, ambulancier.
Les bêtes aussi sont parfois blessées, même si leurs cornes sont scupuleusement limées et les combats supervisés par une douzaine d'arbitres prompts à interrompre la confrontation à la première défaillance d'un des combattants.
Organisées en festival par la mairie depuis 29 ans, ces joutes, inconnues dans le reste de la Turquie, reprennent une tradition locale bien plus ancienne, due aux spécificités d'une géographie particulièrement accidentée.
"À l'origine, les combats servent à apaiser les taureaux avant la transhumance vers les pâturages d'été : on les fait se battre pour qu'ils se connaissent et n'aient plus à se défier ensuite sur des terrains dangereux où ils pourraient se blesser ou se tuer", explique Yavuz Seçkin, un éleveur de 41 ans.
Les combats jouent aujourd'hui un rôle crucial dans l'économie d'une commune de 23.000 habitants dépourvue de toute industrie et éloignée des grands axes commerciaux et touristiques.
"Si les combats de taureaux n'existaient pas, personne ne parlerait de la ville. On n'a pas les moyens de faire venir ici des grands artistes", affirme Ahmet Kinali, président de l'association organisatrice du festival. "Artvin, c'est un cul-de-sac. Personne ne viendrait nous voir sans les taureaux".
Avec ses prix -qui peuvent monter jusqu'à 6.000 livres turques (2.785 euros, 3.915 dollars) pour le champion de la catégorie la plus prestigieuse, "chef-taureau" (+ 650 kilos)-, le tournoi contribue également à l'amélioration des espèces et à la survie de l'élevage dans la région, frappée de plein fouet par l'exode rural.
Un trophée remporté lors du festival assure aussi au champion une profitable carrière de reproducteur.
Pour les perdants cependant, l'avenir est moins rose : "Un taureau qui perd un ou 2 combats, il finit chez le boucher", déclare M. Seçkin, même si l'éleveur avoue qu'il fera preuve de mansuétude à l'égard de Kahraman (Héros), son "chef-taureau", éliminé au stade des demi-finales. "Kahraman, c'est pas possible (de le tuer), on l'a élevé comme un fils, on a besoin de lui", confie-t-il.
AFP/VNA/CVN