Tunique unique

Puisque cette semaine, l’áo dài est à l’honneur, il fallait que cette tranche de vie lui rende hommage. Un hommage bien difficile, tant on déjà tout dit sur cette marque de l’élégance féminine au Vietnam.

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Poètes, journalistes, historiens, sociologues, artistes..., qui ne s’est penché sur ce vêtement si typiquement vietnamien ? En ce qui me concerne, c’est lui qui s’est penché vers moi lors de mon premier voyage au Vietnam, il y a plus de 20 ans...


J’étais installé dans mon siège, regardant s’abaisser le sol de France à travers le hublot d’un avion qui devait me porter pendant plus de 12 heures, quand une hôtesse est venue me proposer un verre de jus de fruit. Sous le sourire de circonstance, au lieu du sempiternel uniforme, une tunique rouge bordeaux sur un pantalon jaune d’or. J’avais l’impression que c’était une fleur exotique qui s’inclinait devant moi. Touché par cette grâce, j’ignorais que derrière son apparente simplicité, l’áo dài était un des vêtements les plus compliqués qu’il fut.
Quel genre ?
À commencer par sa prononciation. On écrit áo dài, mais dans le Nord on dit «ao zai» et dans le Sud «ao yai». Qui pourrait, certes, être un «ao zai» ou «ao yai», avec le sigle de la station concernée brodée sur le dos, ce qui lui ôterait tout son charme et le ravalerait au rang de cousin du jogging publicitaire !
Vous remarquerez d’ailleurs que depuis le début de cette tranche de vie, j’ai choisi arbitrairement le genre masculin pour un vêtement de genre féminin. En effet, doit-on dire un áo dài ou une áo dài ? Car littéralement la traduction est «robe longue», à laquelle d’aucun préfère «tunique». Mais dans les deux cas, la grammaire voudrait que nous lui adjoignions l’article une. Or, force est de constater que l’usage lui impose le masculin. Il faut peut-être y voir là une mâle et perfide revanche envers la beauté inégalable de cette tenue.
On peut aussi supposer que l’áo dài est un couple, constitué d’une tunique et d’un pantalon. Or, souvenez-vous de vos leçons d’école : «Un verre et une tasse sont posés sur une table». C’est le masculin qui l’emporte ! Donc, le pantalon, même s’il est sous la tunique, prend le dessus pour définir le genre de l’áo dài

Áo dài en série !
Photo : Gérard Bonnafont/CVN


Heureusement, c’est par la tunique que s’exprime toute la beauté de cette toilette. Encore que, pour que l’effet soit réussi, faut-il que la tenue soit seyante ! Et pour cela, il faut passer l’épreuve du petit triangle…
Autant que la décence me le permet, je vous invite à me suivre au plus près de la taille, là où la fente de la tunique remonte, quelque 2 ou 3 cm plus haut que le pantalon, laissant ainsi un petit triangle de peau découvert de chaque côté du bassin. S’il est équilatéral, mesdames, vous le portez bien. Mais s’il est isocèle, rien ne va plus. Soit vous êtes trop mince, soit vous êtes trop «enveloppée».
En effet, l’áo dài est un vêtement exigeant qui ne supporte pas de transgression à la morphologie gracile de la femme vietnamienne. On pourrait presque dire que la longue chevelure de jais, l’áo dài et le nón (chapeau pointu) forment une symbiose qui donne cette vision de rêve que nombre de peintres, dessinateurs, photographes ont tenté de prendre au vol.
Certes, les tailleurs sur mesure, qui proposent leurs services aux touristes aspirant à faire couleur locale, peuvent tenter l’impossible, mais il faut avouer que le miracle est rare. L’áo dài est chauvin, qu’on se le dise !

Áo dài en solo !


Quelle allure ?
De toute façon, n’ayons pas de regret !
Porter un áo dài n’est pas de tout repos. Notamment quand il s’agit de faire du vélo ou de monter sur une moto. Rester élégante en remontant les pans de sa tunique n’est pas donné à tout le monde. Il faut savoir plier les deux pans exactement en leur milieu, les bien positionner sous soi, pour qu’ils recouvrent la selle, sans pendre sur les côtés pour éviter qu’ils ne se prennent dans les rayons, ce qui porterait atteinte à l’intégrité de l’áo dài et de sa propriétaire.
Savoir porter l’áo dài, c’est aussi adopter le maintien qui va avec. En effet, l’áo dài ne peut se contenter de revêtir une personne aux épaules avachies et au dos voûté. Quand on le porte un, on est princesse, buste droit, menton levé, regard portant loin. La fluidité du mouvement doit être en harmonie avec la souplesse du vêtement.
Porter un áo dài, c’est se déplacer sur un fil, dans une sorte de danse aérienne qui donne le sentiment de glisser plus que de marcher.
Porter un áo dài, c’est devenir femme-papillon, accompagnée du bruissement de la soie sur la soie.
Bref, porter un áo dài, ça se mérite !


Sans doute, ceux qui lisent ces lignes et ne sont jamais venus au Vietnam s’imaginent-ils qu’un tel vêtement n’apparaît que dans de grandes circonstances. Il est vrai que si mariages, célébrations et autres fastes sociaux lui laissent la part belle, en lui permettant d’être décoré de magnifiques broderies scintillantes, on peut le croiser en de multiples autres circonstances.
Ainsi, aux couleurs de l’entreprise ou de l’hôtel, dans les halls de réception, d’un blanc de neige à la sortie de certains collèges et universités, fleuri de roses et d’orchidées sous la toge des lauréats aux examens, rouge et or pour les mariées…
En fait, il n’est pas un jour où je ne croise son chemin. Pas un jour où il ne me rappelle que la beauté discrète est le plus sûr chemin vers l’élégance la plus raffinée. Pas un jour où il ne me fait un clin d’œil en en soulignant des courbes séduisantes. Pas un jour où il ne me donne l’occasion de côtoyer des fleurs, à l’image de celle qui se penchait vers moi, il y a plus de 20 ans.
Pas simple de porter l’áo dài, mais tellement facile à admirer !

Photo : Phuong Vy/VNA/CVN


Gérard Bonnafont/CVN


 

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