Sous les chaises, la plage

La mer, le soleil et la plage..., image traditionnelle des congés payés en Occident, et que le Vietnam découvre chaque année encore plus. Mais, à chaque culture sa pratique, et ici, ça vaut son pesant de gratons, comme dirait un Lyonnais.

Cua Lo. Station balnéaire dans la province de Nghê An (Centre), à l'écart du tourisme international, mais pas du tourisme intérieur.

Même pas peur !

La semaine dernière, je vous ai quitté, alors que je m'installais sur une des nombreuses chaises longues alignées face à la mer sur une plage plus encombrée que la place Quách Thi Trang avec la statue mémoriale de Trân Nguyên Han à Hô Chi Minh-Ville ou le carrefour Buoi à Hanoi, à 17h00 de l'après-midi. C'est d'ailleurs à cette heure vespérale, alors que la chaleur estivale commence à donner des signes de fatigue, que l'affluence balnéaire atteint des sommets. Au milieu de cette foule, j'essaie de passer inaperçu, en tentant de me noyer parmi les postulants baigneurs. Peine perdue ! Mon statut et ma stature de Tây (Occidental) continuent à attirer regards et sympathie, dont parfois je me passerais bien...

En toute sécurité...

Vieux loup de mer des plages ensoleillées, je prends mon temps pour me préparer avant de me jeter à l'eau, tandis que c'est avec une ardeur ponctuée de cris de joie qu'enfants et adultes se précipitent dans l'eau d'une mer aussi calme qu'un étang de pêche un jour de calme plat. Comme je l'apprendrais plus tard, c'est d'ailleurs une des raisons de la notoriété de Cua Lo : ici, pas de vagues intempestives qui risqueraient de rouler les baigneurs comme de vulgaires galets, ou qui pourraient les emporter au large par de traîtres courants. La mer, à cet endroit, est une piscine où le sol en pente douce permet d'avoir pied sur une grosse centaine de mètres, et c'est très bien ainsi. C'est qu'on ne rigole pas avec la sécurité du vacancier !

À commencer par la présence d'un bungalow sur pilotis, poste de surveillance occupé par trois jeunes éphèbes concentrés sur une tâche importante : photographier avec leurs téléphones portables, depuis leur position en hauteur, les représentantes de la gente féminine qui leur semblent les plus intéressantes sur un plan esthétique ! Ceci étant, la probabilité qu'ils captent en arrière-plan, dans leur viseur, les gestes désespérés d'un candidat à la noyade, est plus grande que s'ils tournaient le dos à la mer.

La sécurité, c'est aussi ces bateaux à moteur qui montent la garde comme des chiens de troupeaux, et qui foncent à tout allure, rythmée par des coups de sifflet, sur l'impudent qui ose sortir du périmètre de baignade. À vrai dire, je l'ai longtemps chercher ce périmètre. En fait, ici, pas de bouées de signalisation, pas de cordage flottant, mais un repère bien précis : le rail des scooters de mer. Pétaradantes, fumantes, bondissantes comme des diables hors de l'eau, ces machines, qui sont aux bains de mer ce qu'est un jet au vol à voile, tracent une barrière d'écume entre la plage et le large, en d'incessants allers et retours le long de la côte. Gare au malheureux nageur qui voudrait couper cette ligne virtuelle : il se trouverait vite dans la situation d'un voilier traversant le rail d'Ouessant, au milieu des super-tankers lancés à toute vitesse. Entre être refoulé par une turbine ou être violemment percuté par une demi-tonne de métal et de plastique, l'aspirant nageur en eau profonde n'a guère le choix que de rester à barboter avec ses condisciples dans moins d'1m80 d'eau...

J'en suis là de mes considérations sécuritaires, quand soudain mon coeur s'emballe !

En toute insécurité...

La scène à laquelle j'assiste oscille entre "Alerte à Malibu" ou "Les Dents de la Mer"... C'est en tout cas, un mauvais nanard de série B : un scooter de mer vient de quitter son rail au large et bifurque vers la plage, sans ralentir ! Tel un faucon sur une basse-cour, un monstre de 500 kg de fond, moteurs rugissants, sur des dizaines de familles innocentes, qui s'adonnent aux joies du pataugeage. Ce n'est pas possible, les bateaux de garde vont intervenir, les sauveteurs vont déclencher les sirènes, on va faire sortir les gens de l'eau... Déjà, des images de corps pantelants, flottants entre deux eaux, se dessinent dans mon esprit affolé. Rien de tout celà ! Zigzaguant entre des baigneurs indifférents, qui s'écartent à peine sur son passage, la bête vient terminer sa course à deux brasses du rivage, juste le temps pour son pilote de bomber le torse au milieu des naïades et de décharger sa cargaison humaine, avant de repartir avec de nouveaux passagers, en faisant vrombir son moteur. L'occasion pour moi de toucher le fond du ridicule, debout, les bras en sémaphore pour alerter mes amis, en leur hurlant de prendre garde. Lesquels n'y accordent aucune attention !

Et, c'est sous les regards de commisération de mes coreligionnaires de plage que je me coule de nouveau dans ma chaise longue. Encore une fois, j'ai fait preuve de présupposés occidentaux. Une population capable de traverser des rues au milieu des flots incessants de voitures et de motos ne peut pas s'inquiéter pour quelques jets ski qui viennent leur frôler la tête.

Du coup, j'attire de nouveau l'attention sur moi, et mes voisins de chaise, qui jusqu'alors ne manifestaient à mon encontre qu'un intérêt discret, y trouvent un prétexte pour entamer la conversation. Conformément au code social en vigueur au Vietnam, j'en apprendrais plus sur eux en 10 minutes que sur ma propre famille en 50 ans... Ces braves grands-parents accompagnent leurs petits-enfants, qui profitent de leurs vacances scolaires. D'ailleurs, deux jeunes filles d'une quinzaine d'années, les cheveux dégouttants d'eau, se dirigent vers nous, d'un pas rendu hésitant par le sol mouvant de la plage. Déjà, tout à l'heure, alors qu'elles allaient à la baignade, elles m'avaient sourit en passant devant moi. Habitué au sourire convivial du Vietnam, je leur avait répondu par un sourire poli, qui n'engageait rien. Mais là, à leur air décidé et leurs yeux pétillants, je devine qu'elles vont profiter de l'entrée en matière de leurs grands-parents pour tester leur niveau d'anglais. Les pauvres, elles ne savent pas encore que je suis un indécrottable francophone qui refuse de parler d'autre langage que le vietnamien au Vietnam et le français en France. Je réserve mon anglais pour les pays anglophones, qu'on se le dise !

Mais, pendant les discussions anglo-vietnamiennes, les bains de mer continuent... On se retrouve pour une sortie de bain, la semaine prochaine !

Texte et photo : Gérard BONNAFONT/CVN

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