Pauvre “Liberté” !

La statue de la Liberté est une proclamation solennelle en faveur de la libération des peuples. Elle avait même eu un écho insolite au Vietnam.

Cette statue The Liberty lightening the nations est un cadeau du peuple français au peuple américain en 1886, en souvenir de l’alliance entre les deux peuples dans la guerre américaine pour l’indépendance.

Les régates à l’occasion du 14 juillet dans la ville de Dà Nang (Centre) à l’époque coloniale.

Il y avait à Hanoi une réduction de l’œuvre de Bertholdi au temps de la colonisation française. Elle trônait à l’ex-square Neyret, près du marché de la Porte du Sud (marché de Cua Nam). Quelle farce ! Qui était cet administrateur colonial qui avait eu l’initiative d’ériger la Liberté dans la capitale d’un pays auquel on avait arraché la liberté.

Il me semble que Madame Roland avait dit : «Liberté, liberté, que de crimes on a commis en ton nom». Les gens du peuple qui ne savaient pas ce que cette Dame Liberté venait faire dans leur quartier l’appelaient Bà Đầm Xòe (Dame étalant sa jupe).

En septembre 1940, les fascistes japonais ont occupé le Vietnam, maintenant à leur service l’administration coloniale française relevant de Vichy. Le 9 mars 1945, ils renversèrent cette dernière et accordèrent au roi Bao Dai une pseudo-indépendance. Dans le gouvernement royal fantoche, il ne manquait pas de patriotes anticolonialistes. L’un d’eux, Trân Van Lai, maire de Hanoi, fit abattre toutes les statues françaises sur les places publiques de la capitale y compris celle de la Liberté. Ces figures sculpturales furent données aux fondeurs du village de Ngu Xa qui en firent une statue de 4 mètres de haut du Bouddha Amitabha (A Dzi dà). Miracle du Karma.

Le 14 juillet au Vietnam de l’époque coloniale

L’administration coloniale avait introduit le 14 juillet au Vietnam dès les premières années de la conquête. Voici comment le Docteur Hocquard accompagnant les troupes françaises lors de la campagne de pacification du Tonkin en 1884-1886 a décrit la fête du 14 juillet organisée dans une province du delta du fleuve Rouge :

Les réjouissances publiques à Saigon de l’époque coloniale à l’occasion de la Fête nationale française.

«Aujourd’hui, 14 juillet (1885), jour de Fête nationale, Nam Dinh offre un coup d’œil féerique.

Le Tông dôc (gouverneur de province), sur l’invitation du résident de France, a ordonné à chaque habitant d’avoir à arborer devant sa case un pavillon tricolore… Sans doute les cinquante ligatures d’amende dont le Tông dôc a menacé ceux qui n’exécuteraient pas son ordre sont pour beaucoup dans l’empressement qu’ils ont tous mis à pavoiser leur rue.

Quoi qu’il en soit, la ville tout entière offre depuis hier un spectacle à la fois joyeux et original : sous ce clair soleil, les gaies et vives couleurs française réjouissent les yeux. Dans la rue des Chinois, qui se déroule en ligne droite sur une étendue de 4 kilomètres, les drapeaux flottent, serrés sur deux lignes, à perte de vue, et finissent par se rejoindre d’un côté de la rue à l’autre. Dans le port, sur le canal, toutes les jonques, toutes les petites barques ont arboré des pavillons.

Coups de canon à l’ouverture de la fête

À 07h00 du matin, 21 coups de canon tirés de la citadelle annoncent l’ouverture de la fête. Nous sortons en bande malgré la chaleur. À chaque pas, nous sommes accueillis par des salves de pétards chinois partant dans toutes les directions. Ces pétards, très petits et reliés les uns aux autres par série comme dans une brochette, dégagent une épaisse fumée et font un fruit de toile qu’on déchire. Les rues sont encombrées par la foule, à tel point qu’on peut à peine circuler.

Les Annamites, tout joyeux et la figure épanouie, ont revêtu leurs plus beaux costumes : les robes vert ardent, rouge feu, violet pensée, produisent en se rapprochant les unes des autres des effets criards et inattendus. Les riches pagodes ont étalé sous leurs portiques de belles étoffes de soie couvertes de broderies. Devant la maison du Tông dôc, le grand étendard d’Annam flotte entre deux drapeaux tricolores.

Une estrade en bambou ornée de tentures et abritée sous un immense vélum est installée sur les bords du fleuve. Elle est destinée aux officiers de la garnison et aux autorités annamites, qui pourront assister de là aux jeunes populaires organisées par les soins du Tông dôc.

Devant cette tribune s’étend un terrain bien battu et bien aplani sur lequel ont été dressés des mâts de cocagne, des balançoires et des théâtres en plein vent. Les mâts sont soigneusement frottés à l’huile de coco. Au sommet sont exposées les ligatures de sapèques qui doivent récompenser le vainqueur. Les Annamites grimpent avec une agilité merveilleuse en se servant de leurs pieds comme organe de préhension, absolument comme les singes. Quand ils sont fatigués, ils peuvent s’arrêter pour se reposer, au milieu de leur ascension, en saisissant en quelque sorte le mât entre le gros orteil, fortement convulsé en dedans, et les autres doigts du pied.

Dans un coin de la place, un théâtre de marionnettes, agencé comme nos guignols du Luxembourg ou des Tuileries, attire un nombreux public qui applaudit à tout rompre et qui rit à gorge déployée. Les petits acteurs en bois, hauts de 20 cm, vont, viennent et se démènent comme des personnes naturelles.

Réjouissances populaires

L’auteur décrit longuement d’autres réjouissances populaires : opéra classique tuông, jeu d’un homme aux yeux bandés attrapant une chèvre dans un enclos, course au cochon, régates, jeux de hasard…

«Je suis invité par le Résident de France à un dîner de gala auquel participent les autorités vietnamiennes, poursuit le Dr Hocquard. À la fin du banquet, l’interprète de la Résidence se lève, et s’avance, un papier à la main pour lire la traduction annamite d’une allocution adressée aux mandarins par le résident de France. Le Tông dôc répond dans la même langue, puis nous sortons tous dans la cour où nous attendent les danseurs indigènes».

Les autorités coloniales faisaient célébrer leur 14 juillet en terre «annamite» en se gardant de rappeler la signification de cette fête de la Liberté. Le lettré patriote et poète Nguyên Khuyên, n’hésitait pas à dénoncer ce jeu de dupe. Il a rimé non sans amertume :

«Chapeau ! J’admire ceux qui organisent ces jeux,

Autant de plaisir, autant de honte pour nous !»

Aujourd’hui, le 14 juillet est célébré à Hanoi avec sa vraie signification sous le signe de la liberté, de l’égalité et de la fraternité des peuples.

Huu Ngoc/CVN

 

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