>>S’il te plaît, dessine-moi un Pho !
Pour savoir mener sa barque, il faut souvent ramer ! |
Photo : Gérard Bonnafont/CVN |
Avant, il y avait les fleuves et les rivières. Courants impétueux, cours capricieux, méandres lascifs ou torrents fougueux. Pour passer d’une rive à l’autre, l’homme n’avait d’autre choix que de se faire porter par une embarcation. Le buffle aussi d’ailleurs. Des petits esquifs à peine assez grands pour transporter une petite famille aux grands traversiers qui pouvaient contenir un troupeau entier, gardiens compris, les bateaux avaient droit de citer pour aller d’une cité à l’autre. Moyens de transports plus sûrs que le palanquin ou le cheval, même si quelques pirates embusqués le long des rives venaient faire festin de barcasses ventrues.
Et puis, il y a eu les ponts. De bois, de pierre, d’acier, et plus tard de béton, ils ont écrit des traits d’union sur les cartes sillonnées de cours d’eau. Au fil des temps, la barque, d’utilitaire pour quelques rares pêcheurs, est devenue accessoire à touriste. De quoi parfois se faire mener en bateau par qui sait conduire sa barque.
Vente ambulante
La première barque à m’avoir accueilli au Vietnam fut celle qui m’a fait découvrir les charmes cachés du site de Tam Côc, dans la province de Ninh Binh (Nord), la si souvent présentée dans les guides touristiques. C’était avant, quand les berges étaient encore indemnes de béton, quand on pouvait se sentir seul au monde entre les monts en pain de sucre, quand il n’y avait pas encore écrit «PIZZAS» et «HAMBURGERS» en lettres géantes sur les restaurants proches de l’embarcadère.
C’était avant, mais déjà, j’avais pu apprécier la capacité redoutable des rameuses à se transformer, au fil de l’eau, en représentantes en nappes brodées. Utilisant toutes les ficelles que l’on enseigne dans les écoles de vente, elles pouvaient, tour à tour, se faire attendrissantes, plaidant pour leur famille dans le dénuement pour leurs nombreux enfants, pour leur dur labeur chichement payé par l’écot touristique. Puis, elles devenaient plus insistantes, la main sur le cœur pour dire que je faisais une bonne affaire, que le prix demandé couvrait à peine le travail accompli, que de toute façon le montant représentait bien peu de choses pour moi, le riche Occidental.
Des touristes visitent le complexe paysager de Tràng An, dans la province de Ninh Binh (Nord). |
Combien on a cédé, et cède encore devant une telle fougue commerciale, d’autant plus que le client potentiel est isolé au milieu de la rivière, postérieur en équilibre instable sur une petite planche qui serte de siège. Pas vraiment de quoi être en bonne position pour négocier. En voilà qui savent mener leur barque… et pas seulement avec les pieds.
Maisons à la flotte
Puis, j’ai découvert les petits sampans de la baie de Ha Long, dans la province de Quang Ninh (Nord). C’était, encore une fois, avant. Avant que le polyester ne serve de flotteurs aux fermes piscicoles et d’objets flottants non identifiés dans la baie. À cette époque, les pêcheurs vivaient dans un espace à peine plus grand qu’une salle de bain d’un appartement moderne aujourd’hui. Un toit de bambou tressé, protégé par une toile, quelques couvertures entassées servant de couche, une marmite posée sur un trépied à la proue, voilà tout !
Et là-dessus, la mère allaitait son enfant, tandis que l’aîné jouait dangereusement, accroupi sur le plat-bord. Le père tirait ses filets, et quand il les remontait, les poissons dégoulinaient sur le pont, en cascade argentée, réduisant encore l’espace réservé aux humains. Le soir, par crainte de quelques malandrins rôdant encore, les sampans se regroupaient, s’agglutinaient en grappe, formant de véritables villages flottants, éclairés de quelques lumignons, minuscules étoiles tremblotantes dans la nuit de ce coin du monde.
Puis, les maisons flottantes de bois et de tôle sont apparues. Vaisseaux immobiles, elles ont envahi les criques et les anses. Les sampans se sont transformés en épiceries nomades, avec des femmes à la manœuvre. Couvertes de la tête au pied, pour se protéger des assauts répétés d’un soleil pas toujours agréable, elles vont d’un bateau de touristes à l’autre, proposant fruits, boissons, gâteaux, à ces vacanciers qui viennent regarder de haut tout ce peuple de la mer qui s’échine sur l’onde nourricière.
De quoi perdre la boule
La barque devient aussi moyen de locomotion dans les rues liquides que les enfants manient aussi naturellement que d’autres font du vélo. Pour aller à l’école, jouer avec les copains, rendre visite à la grand-mère, et bien d’autres choses encore, en voilà qui savent mener leur barque. La barque, je l’ai aussi vue toute ronde, comme une moitié de noix de coco, vidée de sa pulpe. En bambou tressé, calfatée de goudron, elle joue des tours à qui ne sait la diriger.
Se faire mener en barque au fil de l'eau. |
Se faire mener en barque au fil de l'eau. |
Du côté de Hôi An, province de Quang Nam (Centre), elle est devenue jeu pour touristes en mal de sensations authentiques. On les voit entassées par paquet de trois ou quatre, dans ces drôles de petites embarcations, pilotées par des mains habiles qui arrivent à les faire naviguer droit. Elles se glissent dans les mangroves et vont se coller aux nypas dont les grandes palmes forment des éventails au-dessus de l’eau.
Les pilotes immobilisent ces bateaux-paniers et détachent des feuilles de palmes pour les tisser en chapeaux, colliers, bagues et bracelets qu’ils offrent aux passagers. Sans doute influencés par la forme utérine de leur esquif, ceux-ci les arborent avec un sourire enfantin, et se prennent en photos envoyées illico sur leur page de réseau social. Le grand moment de solitude viendra plus tard, quand ils se découvriront en lisant leur mur. Pour le moment, ils sont en vacances et participent activement au développement économique d’une population locale de pêcheurs qui ont su se transformer en créateurs d’activité touristique. En voilà encore qui savent mener leur barque.
Et puis, la barque que je préfère est celle qui me conduit doucement sur cette rivière tranquille. Allongé au doux soleil du matin, je contemple le ciel d’été d’un Vietnam qui ne cesse de m’étonner. Devant moi, un pêcheur taciturne guide le petit canot, à lents et puissants coups de rames. Notre embarcation trace un long sillage qui semble comme une flèche à la surface, nous emportant vers un ailleurs où tout est possible…, surtout de bien savoir mener sa barque.
Gérard Bonnafont/CVN