Rites et tabous des pêcheurs pour un bon départ au large

Attachés à la mer, les pêcheurs collectionnent les rites et interdits indispensables pour un départ au large réussi. Bien que la flottille soit aujourd’hui soutenue par des équipements modernes, les capitaines de navire ne sont pas prêts de renoncer à ce legs transmis de génération en génération.

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Des yeux protecteurs à la proue

Les pêcheurs ont une croyance bien ancrée : leur bateau est un être vivant. Pour mener à bien une campagne en haute mer, un navire devra donc être équipé d’un œil pour éviter le danger et l’attaque des monstres aquatiques. Une conception qui se retrouve lors de la construction de bateaux, où deux grands yeux seront soit sculptés, soit peints de part et d’autre de la proue. Les plus prudents feront même installer un giao long stylisé (sorte de mi-dragon, mi-crocodile protecteur) sur la partie immergée de la proue.

Sur les deux côtés de la proue du bateau sont sculptés ou peints deux grands yeux.

Avant la mise à flot, le capitaine organise une petite cérémonie familiale : le khai nhan (ouvrir les yeux du bateau), afin de s’attirer les faveurs des divinités pour une bonne pêche et des affaires florissantes.

Le Génie puissant de la baleine

Dans la croyance populaire, la baleine est une créature des mers sacrée. Elle fait souvent son apparition pour aider et sauver ceux en difficulté au large. Dans l’esprit des pêcheurs les plus âgés, les baleines sont, quoiqu’il advienne, un animal légendaire.

Truong Van Dông, domicilié dans le village de Phuoc Thiên, province de Quang Ngai, et fort de plus de 60 ans d’expérience dans la pêche hauturière, raconte qu’il y a une dizaine d’années, son bateau a été pris dans un typhon. Par miracle, une baleine est apparue et l’a ramené, lui et son équipage, sur la terre ferme. «Chaque fois que les pêcheurs de mon village sont confrontés à une tempête en mer, ils prient pour que les baleines les aident à se sortir de ce mauvais pas. Et ce génie de la mer nous donne de la force lorsque l’on part au large, sachant qu’il veille sur nous», affirme-t-il.

La cérémonie de culte du Génie de la baleine est perpétrée depuis des lustres dans la communauté des pêcheurs.

Il est possible d’émettre quelques réserves sur la véracité de ces récits sur les baleines qui sauvent la vie des pêcheurs. Mais qu’importe, puisque de toute façon ces histoires sont transmises de génération en génération dans cette région qui vit entièrement de la pêche. Cette croyance fait que chaque fois qu’une baleine est retrouvée morte échouée sur la plage, les villageois organisent des funérailles avec des invocations rituelles dignes d’un dieu. Dans certains villages du Centre, le cadavre est imbibé d’alcool puis placé dans un cercueil en bambou avant d’être enterré au cimetière des baleines.

À chaque arrivée du printemps, dans la plupart des villages de pêcheurs, une fête en l’honneur du Génie de la baleine est organisée. Le culte de la baleine qui y est pratiqué permet de prier pour une météo clémente, une bonne pêche et la prospérité.

Les choses à éviter dans le quotidien

Pour assurer un départ favorable au large, les pêcheurs ont - fruit des expériences héritées des ancêtres - établi leur propre calendrier lunaire réservé spécifiquement au cycle d’activité de la marée. En le consultant, ils décident de prendre le large ou non. M. Lâm, un vieux loup de mer fort de 70 ans de métier, donne quelques exemples : «Chaque mois lunaire, il y a deux ou trois jours à éviter : les 5e et 9e jours des 1er et 7e mois lunaires ou les 3e, 17e et 29e jour des 2e et 8e mois lunaires. Durant ces jours, les coefficients de marée sont importants et la mer est mauvaise».

Les pêcheurs ne mettent jamais leur filet de pêche sur un étendoir à linge.
Photo : Archives/CVN

Dans la vie de tous les jours, les pêcheurs évitent plusieurs habitudes qu’ils estiment néfastes. Lors d’un repas avec un poisson frit entier par exemple, il est interdit de renverser le poisson, qui fait référence au chavirement du bateau. Pour l’outillage de pêche, il faut éviter de le mettre sur un étendoir à linge. Et les femmes ayant leurs menstruations ne peuvent pas le préparer.

Enfin, un départ sera annulé si le capitaine, à bord de son bateau, voit un autre navire couper le cap du sien ou un serpent marin (Hydrophis platurus ou pélamide). À bord, les conversations de l’équipage n’aborderont en aucun cas les thèmes liés aux monstres aquatiques ou aux incidents en mer, tabou absolu.


Linh Thao/CVN

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