À peine quelques semaines de répit après le froid de gueux de l’hiver, et déjà la canicule s’invite dans nos villes. De quoi nous refroidir en la perspective d’un climat idyllique pour les vacances à venir. Et comme dit l’autre, il va falloir vivre avec. Mais comme une des capacités premières de l’être humain est de s’adapter, déjà se mettent en place les habitudes à prendre pour éviter d’être cuit. Automatismes dus autant à l’expérience qu’aux expériences. Et, c’est d’expérience que je vous en parle.
La collection Printemps - Été 2016 pour affronter les journées à 40°C. |
Photo : VNA/CVN |
Bain chaud
Impossible d’entendre ce que dit la présentatrice du journal télévisé. Mes perruches jabotent à qui mieux mieux. Depuis longtemps, j’ai appris à reconnaître, entre gazouillis, cris et autres stridulations du langage psittacidé, les bavardages ou les demandes péremptoires. En l’occurrence, ce sont les secondes qui semblent s’exprimer depuis quelques minutes.
Abandonnant les nouvelles du jour, je viens aux nouvelles de la gent ailée. Je ne comprends pas ce qui les irrite à ce point. Leur volière est installée dans le coin le plus frais de notre salon, la mangeoire garnie à ras bord de graines de premier choix et la baignoire pleine… Et bien non, justement !
Parmi la liste des tâches ménagères quotidiennes, il semblerait qu’un oubli se soit glissé pour cette journée où le mercure escalade avec vigueur les derniers degrés du thermomètre : l’eau de la baignoire n’a pas été renouvelée, et subissant l’un des effets collatéraux d’une chaleur excessive, à savoir l’évaporation, elle offre à peine de quoi se faire un bain de pattes, quand on a tellement envie d’y plonger les plumes.
Désireux de retrouver le plus vite possible ma tranquillité et ma présentatrice préférée, je m’empresse de récupérer le petit bassin de plastique pour le remplir d’eau fraîche. En un clin d’œil, l’eau claire qui s’écoule du robinet remplit la petite piscine portative que je rapporte délicatement à ses propriétaires. Au moment de l’introduire dans la volière, j’ai le réflexe de sonder la fraîcheur de l’eau : il ne manquerait plus que mes compagnons à plumes soient victimes d’une hydrocution. Et là, surprise ! C’est dans un liquide brûlant que barbote le bout de mon doigt. N’aurai-je pas eu ce réflexe, je faisais cuire mes oiseaux au court-bouillon…
Pas certain que ma fille ait apprécié ! Intrigué, je retourne à l’évier de la cuisine pour vérifier la position du mitigeur, qui me nargue en étant réglé du côté froid, celui avec la petite pastille bleue. Je laisse à nouveau l’eau couler à flot, en mettant ma main sous le jet : c’est de l’eau chaude, presque brûlante qui en tombe en cascade. Et plus l’eau coule, plus elle est chaude, ou pour le moins, contrairement à l’habitude, elle reste à une température plus apte à faire cuire des pâtes qu’à rafraîchir les pattes de volatiles surchauffés.
C’est au moment de téléphoner au plombier que j’ai la révélation! Comme je l’ai déjà écrit dans ces chroniques, au Vietnam, chaque maison dispose de son petit château d’eau individuel, sous forme d’une énorme citerne en aluminium qui trône sur le toit. Une pompe électrique envoie l’eau du réseau remplir la citerne, qui stocke le précieux liquide et le redistribue selon les besoins. Or, si, comme chez moi, la citerne n’est pas protégée des rayons du soleil, elle se transforme vite en chauffe-eau, surtout quand il fait 40°C et plus ! Et comme les canalisations ne sont pas assez longues pour refroidir l’eau, celle-ci arrive au robinet, juste à point pour faire infuser son thé.
Pour mes perruches, un glaçon dans l’eau, quelques minutes d’attente, et l’affaire est réglée. Mais plus difficile pour moi de mettre des glaçons sur ma tête pour y faire couler l’eau chaude afin d’avoir le plaisir d’une douche fraîche. Voilà une expérience qui m’a appris à me méfier de l’eau qui coule en période de pleine chaleur.
Bain de fraîcheur
Trouver de la fraîcheur par n’importe quel moyen ! Une des règles de base pour la survie en période de canicule. Chacun a sa propre solution.
Il y en a qui se refroidissent l’intérieur en permanence, en ingurgitant des hectolitres de boissons dans lesquelles finissent des quintaux de glaçons. C’est le royaume des bia (bière) ou des trà đá (thé au glaçon) que l’on consomme sur les trottoirs, sous le souffle de ventilateurs qui font leur travail de ventilateurs : brasser l’air chaud pour tenter de le transformer en air frais.
D’autres vont s’adonner au même plaisir, mais dans des cafés climatisés. Établissements qui annoncent fièrement la couleur, en affichant «Air Con» sur leurs devantures. Je dois avouer, en tant que francophone, que ce type d’affiche a plutôt sur moi l’effet inverse : je ne vais certainement pas entrer dans un bistrot ou j’aurais l’air d’un individu à l’intelligence à peine plus élevée que le Q.I. d’une poule ! Je préfère nettement ceux qui se proclament «Air Co» ou «Air conditionned», dussé-je ma francophilie en souffrir un peu.
Mais quel que soit l’air que l’on se donne pour refroidir son intérieur (je parle ici de son chez soi !), il faut passer par la case climatisation. «Allume la clim’», «T’as éteint la clim’ ?», «Règle un peu la clim’», autant d’expressions qui relèvent du dialogue quotidien en cette période caniculaire.
Amusante expression qui transforme en genre féminin un nom masculin : le climatiseur. Le plus souvent arrimé aux murs, il fait pleurer les maisons ! Ainsi, quand je me promène, je sais qui a son climatiseur en fonctionnement ou non : il me suffit de regarder les flaques d’eau qui se forment le long des maisons, résultat des gouttes de condensation s’échappant des tuyaux d’aération des ventilateurs externes.
Aujourd’hui, la mode est à l’acquisition de tours de ventilation et de climatisation qui trônent au fond des salons et salles à manger. Nimbées de vapeur d’eau, elles exhalent un souffle frais, trop frais parfois, qui caresse nuque et visage, au prix de chocs thermiques, angines et autres maux de gorges.
En ce qui me concerne, j’ai opté pour une méthode mi-traditionnelle et écologique, mi-moderne et polluante. Aux heures les plus chaudes de la journée, je me claquemure derrière les rideaux fermés, et je laisse mon climatiseur faire son travail de consommateur outrancier d’énergie, en priant que les centrales hydroélectriques et géothermiques soient assez puissantes pour supporter le coup de millions d’utilisateurs qui pratiquent comme moi !
À l’aube, le soir et la nuit, j’ouvre ma maison aux quatre vents, les laissant courir librement : ce qui s’appelle faire des courants d’air. Pour être honnête, quand Éole somnole un peu trop, sans doute abruti de chaleur, je l’aide un peu à l’aide des immenses ventilateurs de plafond, dont les énormes pales agitent les molécules d’air brûlant pour le transformer en air frais… Méthode qui n’est pas sans danger, si on se laisse prendre au plaisir d’un vent fripon qui se transforme progressivement de brise à vent frais, puis coup de vent, voire fort coup de vent.
S’endormir toutes fenêtres ouvertes dans le souffle d’un vent qui agite violemment les branches des arbres et secoue bruyamment le carillon de l’entrée, c’est à coup sûr être réveillé quelques heures plus tard par des trombes d’eau qui pénètrent par tous les orifices du domicile, vous obligeant à courir d’un endroit à l’autre pour refermer tout ce que vous aviez ouvert.
Notez bien que de retour à votre couche, après avoir épongé les sols inondés, trempé de la tête aux pieds, vous êtes rafraîchi, voire victime d’un refroidissement si vous remettez en marche le climatiseur ! Voilà une expérience qui m’a appris à me méfier du fond de l’air qui est frais.
Comme quoi un coup de chaleur, ça peut jeter un froid !