Spectacle improvisé

Parmi les dizaines de lacs qui parsèment Hanoi, il y en a un que j’affectionne plus particulièrement, autant pour son charme que pour la vie trépidante qui l’anime en permanence.

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On dit de lui qu’il est celui de l’Épée restituée. Une vraie légende ! Et comme dans toutes les légendes, il y a plusieurs versions, je vous livre celle qui est le plus souvent avancée… Un jour qu’il pêchait, le roi Lê Loi s’est vu confier par la tortue sacrée une épée pour lutter contre les envahisseurs Ming au XVe siècle. L’indépendance reconquise, le souverain se promenait un jour en barque sur le lac, quand la tortue sacrée revint à la surface de l’eau pour réclamer l’épée, le roi la lui restitua sans hésitation. Dans d’autres versions, c’est l’épée elle-même qui serait sortie du fourreau pour aller rejoindre une tortue qui l’aurait réclamé. Qu’importe ! Toujours est-il que tortue et épée sont associées à ce lac. Ce qui lui vaut également un autre nom : le lac de la Tortue.

Un lac pour des songes au cours d'une nuit d'été...

Tenues improvisées

Épée, tortue ou encore petit, quels que soient les attributs que l’on accorde à ce lac, il n’en reste pas moins un écrin de verdure et de fraîcheur entre la Vieille Ville aux ruelles sinueuses et l’ancien quartier français aux avenues rectilignes. Pont entre les siècles, il attire sous les ombrages de ses rives vietnamiens comme touristes, pour offrir un spectacle sans cesse renouvelé. Il suffit de s’asseoir sur un de ces bancs de pierre qui en jalonne le pourtour pour savourer le plaisir d’assister à milles scènes amusantes ou émouvantes que nous offre le théâtre de la vie.

Tenez, commençons par tous ces nombreux touristes qui se promènent autour du lac! Si la plupart déambulent nonchalamment, vêtue de la panoplie normale du touriste - short ou pantalon court, tee-shirt ou débardeur, bouteille d’eau à la main, sac à dos -, d’autres offrent vraiment de belles images d’Épinal.

Ainsi, celui-ci croit encore que le Vietnam est un pays de jungle où rôde tigres cruels et éléphants furieux cohabitent. Il est équipé comme pour un safari : chapeau de brousse pour se protéger des pluies de moussons, veste et pantalons kaki multi poches pour pouvoir transporter les rations de survie, chaussures montantes pour se protéger des serpents venimeux. Sage précaution, car, comme nous le savons tous, le lac Hoàn Kiêm et les rues alentours recèlent de nombreux dangers, et rares sont les imprudents qui en sont revenus vivants !

Il y a encore celui qui pense que tous les pays au-dessous du 23e parallèle sont des paradis sur terre. C’est l’amour sous les palmiers et la fraternité autour du feu de camp. Il s’habille de pantalons ou shorts savamment déchirés, de sandales de cuir ou de peaux pseudo artisanales, s’enroule dans des tissus ethno-locaux et se coiffe de chapeaux et foulards burinés par de multiples séjours sous le soleil des tropiques.

Parfois, il confond Vietnam et Jamaïque en s’ornant de longues tresses ! Il porte aussi souvent sa maison sur son dos, sous forme d’un énorme sac à dos sous lequel il suffoque aux heures chaudes. Mais qu’importe, tout le monde est beau, tout le monde est gentil !

À l’horizon apparaît celui-ci qui veut faire couleur locale. Donc, dès ses premiers pas à Hanoi, il se précipite chez un tailleur pour se faire faire une chemise col mao ou un áo dài sur mesure.

Ensuite, il peut se promener. Il est enfin intégré, personne ne le remarquera et il pourra être plus au contact de la population. Dans le fond, ce touriste est très utile, car il représente ainsi un musée vivant d’une tradition vestimentaire traditionnelle que nos jeunes, qui décidément ne respectent rien, ont abandonné depuis longtemps au profit d’habits occidentaux !

Enfin, pour mémoire, je cite celui qui considère que de toute façon, on est en vacances pour se lâcher, donc tout est permis, y compris d’être sale, grossier et mal habillé, ou de façon indécente. Chemises tâchées, froissées, débordants de pantalons maculés, dans un pays où même les gens les plus humbles se font une fierté de toujours être propres. Pieds sales dans des sandales éculées dans un pays où l’on cire même les semelles de chaussures. Mais qu’importe puisqu’il est loin de chez lui et en vacances… Une vraie scène de théâtre ce petit lac, je vous dis !

Rêver à deux au bord du lac...

Cours improvisé

Mais à peine ai-je assouvie ma curiosité amusée que je suis l’objet d’une autre curiosité, tout aussi anthropologique. Des jeunes gens viennent m’entourer, comme si j’étais un dangereux malfaiteur, pour m’empêcher toute tentative de fuite.

En fait, cet encerclement de sourires et de salutations vise à entrer en contact pour engager une conversation, le plus souvent en anglais. L’étranger devient ainsi, pour quelques instants, un professeur occasionnel, destiné à aider ces jeunes à se perfectionner dans une langue étrangère.

Comme par réflexe, dès les premiers échanges, j’ai tendance à répondre en vietnamien, le cours improvisé prend une toute autre tournure. Éclats de rire, interjection d’admiration, et inévitable interrogatoire sur ma présence ici, mon état civil, ma situation de famille… Bref, tout ce que la politesse vietnamienne exige pour être reconnu !

En général, l’entretien se termine par des remises de numéro de téléphone, au cas où j’aurai le temps de me consacrer à l’une ou l’autre pour parfaire leur français. J’avoue humblement que je n’ai jamais appelé ces nombreux interlocuteurs, sauf à consacrer toutes mes journées à donner des cours particuliers.

Le soir venu, ce sont les familles et les sportifs qui prennent possession des rives du lac. Les premières promènent les enfants et le chien, en évitant aux uns et aux autres de se faire bousculer par les seconds qui, en marche rapide ou en petites foulées, collectionnent les tours de lac pour conserver la ligne.

Et quand avance le crépuscule, ce sont les amoureux qui envahissent les bancs cachés dans l’ombre, pour de tendres confidences et plus si affinités.

Plus tard, dans la nuit, quand les bords du lac sont désertés, il restera encore quelques inconscients pour confondre les rues qui entourent le lac avec une piste de circuit motocycliste, faisant vrombir leurs machines en des courses effrénées, malgré les interdictions répétées.

Adeptes de sport matinal en bord de lac.

Et au matin, les adeptes de musculation à la fraîche, de rythmiques, de gymnastique douce ou traditionnelle, prendront le relais pour annoncer une nouvelle journée tonique et pleine de vie.

Quand je vous le disais que le spectacle ne s’arrête jamais autour du lac Hoàn Kiêm (c’est son nom vietnamien)… Et tout cela sous l’œil impavide des tortues qui émergent à peine au milieu du lac, invisibles à nos yeux, mais bien présentes pour garder l’épée !

Texte et photos : Gérard Bonnafont/CVN

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