Depuis quelques années, les hôtels de luxe poussent comme des champignons après la pluie. Enfants naturels d’un littoral parsemé de magnifiques plages de sable blanc et d’une demande sans cesse croissante d’un tourisme de haut de gamme, les «resorts» s’exhibent sans pudeur, proclamant haut et fort leur nombre d’étoiles, comme autant de promesses de vacances idylliques. Et c’est justement l’augmentation exponentielle de ces constellations qui incite certains à vérifier de visu si la mariée n’est pas trop belle. C’est pour cela qu’un ami, propriétaire d’une agence de tourisme locale, me charge parfois de jouer le client-mystère, pour aller vérifier sous les jupons que les dessous sont aussi beaux que le dessus.
Du nirvâna
Me voilà donc, en ce mois de juillet, à jouer les jeunes mariés en voyage de noce avec mon épouse, dans un hôtel récemment ouvert, en bord de mer, quelque part dans le Centre du pays.
Ciel bleu et filaos pour farniente de luxe ! |
Au passage, nous avons confié à notre progéniture l’inauguration de nouvelles façons d’arracher les poils des chats ou de faire courir les canards jusqu’à la crise cardiaque dans le village de sa grand-mère, à quelques dizaines de kilomètres de notre sinécure. Le soleil est même de la partie pour assurer un lever de rideau de toute beauté. À une allure de sénateur, la seule adaptée à la situation, notre voiture remonte l’allée monumentale bordée de statues que n’aurait pas désavouée la Rome antique.
À peine nous nous sommes arrêtés devant le perron majestueux qui conduit à la salle de réception, que nous sommes assaillis par une nuée de sourires et de courbettes à faire rougir notre modestie. Nous ne savons plus à quelle main nous vouer : il y a celles qui ouvrent nos portières, celles qui portent nos bagages, celles qui nous indiquent la direction à suivre, celles qui nous serrent les nôtres chaleureusement… Difficile de reconnaître leurs propriétaires pour envisager de les remercier substantiellement plus tard !
La salle de réception est en fait une maison à elle seule, qui surplombe une perspective de piscines en gradin ouvrant sur la mer qui lèche une plage immaculée. Un personnel aussi stylé qu’un majordome anglais de l’époque victorienne s’assure de notre identité et de notre situation matrimoniale (lutte contre la prostitution oblige), avant de nous délivrer le sésame de notre séjour : la clef, ou plutôt la carte magnétique qui nous permettra d’accéder à nos appartements. Je tends la main pour la recevoir solennellement, mais c’est une autre main qui s’en saisit. J’ose espérer qu’à un moment, toutes ces mains, bien que serviables, mais pour autant anonymes, s’éloigneront pour que nous restions à deux, main dans la main ! Pour le moment, pris en main par un nouveau cicérone, nous nous dirigeons vers notre résidence. Car c’est bien le mot juste pour désigner la sublime villa qui s’abrite derrière une haie de bambous.
La mer à portée de piscine : quel luxe ! |
À peine la porte ouverte, notre mentor s’efface pour nous laisser pénétrer dans une suite qui tient plus de la salle de bal que du bistrot de village. Tout est immense : le lit, les miroirs, le bureau, la baignoire. Je résiste à l’envie de demander une boussole ou un talkie-walkie pour que l’on puisse venir me chercher si je me perds dans ce somptueux décor. Nous réussissons cependant à conserver notre dignité, en adoptant l’air plein de morgue de celui qui en a vu et que plus rien n’étonne.
Mais à peine notre accompagnateur est-il reparti, légitime rémunération en poche, que ce sont deux enfants qui se ruent dans leur salle de jeux. Portes, robinets, lumières, jacuzzi, fauteuils massants : tout est testé, ouvert, refermé… Je me demande si la personne qui nous a apportés les bagages au moment où ma femme tentait le triple salto avant sur le lit transformé en trampoline est revenue de sa surprise !
À l’enfer
Après avoir, pendant trois jours, profité du calme luxueux de notre suite, dégusté les mets les plus fins au restaurant de plein air, dîné aux chandelles, rêvé yeux dans les yeux au bar panoramique, et utilisé jusqu’à n’en plus pouvoir jacuzzi, spa, piscine et plage, nous sommes ressortis un peu groggy de ce nirvâna, où, en dehors des touristes, toute personne croisée arbore un sourire rayonnant. Nous sommes prêts à recommencer l’expérience quand notre ami le désire, d’autant plus que pour cette fois, les étoiles sont largement méritées.
Mais ne croyez pas que la vie de testeur de luxe soit toujours aussi mirifique ! J’ai en mémoire un autre hôtel, fier de son appartenance à un groupe international, que nous avions expérimenté en famille, toujours pour le compte de notre ami. Si l’accueil avait été aussi aimable et aussi luxueux, c’est après que les choses se sont gâtées. À croire que les étoiles étaient réservées au hall de réception, mais pas aux chambres !
Pour vivre heureux, vivons cachés ! |
Situé dans une grande ville du Sud, l’hôtel était installé au bord d’une grande avenue qui le séparait du front de mer. L’insonorisation était tellement mauvaise qu’à chaque coup de klaxon, je me précipitais pour retenir ma fille, persuadée que la moto était entrée dans la chambre. La climatisation, refusant énergiquement tout réglage, nous envoyait des jets d’air froid à frigorifier l’enfer. La rampe lumineuse, censée répartir harmonieusement la luminosité, avait choisi de se transformer en guirlande scintillante à éclat, qui m’a contraint à fermer rapidement les rideaux pour éviter qu’un avion ne confonde notre «suite junior» avec le phare de l’aéroport local.
Et ma femme et ma fille, pourtant habituées au sommeil sonore de leur mari et père, n’ont pu fermer l’œil de la nuit, entre le clapotis infernal de la fuite d’eau au lavabo, les tonitruances intempestives du réfrigérateur et les bruits expressifs des occupants de la chambre voisine qui devaient fêter leur lune de miel.
Comme quoi, les hôtels de luxe se suivent et ne se ressemblent pas. Mais rassurez-vous, le Vietnam en compte tant aujourd’hui que vous pourrez en changer autant qu’il vous plaira. Quel luxe, tout de même !