Ici, mais ailleurs

Retour d’une escapade au cœur du pays H’Mông, par des routes buissonnières, où la curiosité se dispute à l’émerveillement. Des émotions à partager.

Ce soir à Hanoi. L’air est moite d’une chaleur estivale qui hésite entre canicule et humidité étouffante. Le ventilateur peine à brasser quelques souffles épars pour me donner la sensation d’une relative fraîcheur. En regardant ma page blanche, je vois apparaître ces images d’un Vietnam de rêve que peu d’étrangers connaissent. Un Vietnam que j’ai délibérément choisi de côtoyer, depuis de longues années déjà. Un Vietnam qui n’a pas la beauté lisse des photos retouchées des agences de voyages. Un Vietnam dont le cœur bat au rythme de celui de ses habitants, de son histoire, de sa magie.

Étonnements

C’était il y a quatre jours. Deux amis venus de France, et l’envie de les faire passer de l’autre côté du miroir.

Une pluie drue couvre la chaussée, masquant les trous. Notre voiture tangue, valse de trou en trou, nous brinqueballe de tout côté en striant le paysage de longues éclaboussures de terre. Au moment où le soleil reprend ses droits, nous laissons la route filer vers les montagnes, pour emprunter une piste qui nous conduit jusqu’à une ville oubliée du monde. Peu d’étrangers viennent se perdre dans cette bourgade dont la spécialité est la taille de rubis, saphir, émeraude et autres pierres destinées à embellir les bijoux. Cette activité cohabite avec la réalisation de tableaux en poussière de pierre collée.

Étonnamment kitsch et surannées, ces prouesses techniques font la joie des amateurs : Napoléon en gloire voisine avec maître Tigre en majesté, la baie de Ha Long (province de Quang Ninh, au Nord-Est) se mire dans une mer de turquoise en faisant la nique aux vieux murs du Quartier des 36 Corporations de Hanoi, recouverts de rubis pour l’occasion.

Regards d’enfants pour curieux étrangers !

Mais le plus étonnant, ce sont ces étrangers au long nez qui viennent se mêler aux acheteurs. Difficile de passer inaperçus, surtout quand parmi ces étrangers l’un mesure près de 2 m, qu’un autre parle couramment le vietnamien, et qu’un troisième est une grande et magnifique jeune fille aux longs cheveux auburn. Au crépitement des flashs des appareils photos des touristes, répond le scintillement des téléphones photos portables des autochtones.

Le lendemain, aux premières lueurs du jour, la piste nous emmène par des cols de 1.500 m et plus, dans des vallées éloignées, à l’écart des grands mouvements de transhumances estivales. Par endroit, la chaussée est tellement effondrée que devant la fragilité du sol, je préfère faire descendre les passagers et laisser la voiture franchir seule le passage dangereux.

Après une centaine de kilomètres, des plots sur la route nous refusent l’accès à un pont. Qu’importe, le chauffeur décide de descendre sur la gauche et, sans hésiter, traverse la rivière à gué. Ce qui ne nous empêche pas d’avoir une petite angoisse quand le capot disparaît totalement sous l’eau pendant une dizaine de mètres.

Les maisons H’Môngs sur pilotis se blottissent en petits hameaux, le long des rizières et des bananeraies. C’est un véritable spectacle de cartes postales qui se déroule devant les yeux ébahis de mes amis. Et comble de bonheur, l’accueil de la population ne fait que rajouter à l’émotion !

Émotions

Je n’oublierai jamais le sourire et la gentillesse de tous ces hommes et femmes que nous avons dérangés dans leur vie quotidienne, en décidant d’aller nous promener dans ces petits villages.

Combien de fois ai-je dû décliner poliment l’invitation à venir prendre du thé, ne voulant pas troubler outre mesure la tranquillité de tous ces gens qui nous ont ouvert tout simplement leur maison. La plupart n’avaient jamais vu d’étrangers.

J’ai néanmoins accepté l’invite d’une grand-mère, revenant des rizières, un fardeau de chaume de riz sur le dos. Son sourire était tellement radieux, ses mains brunies et crevassées par de longues années de labeur étaient tellement chaleureuses lorsque nous l’avons saluée. Comment faire autrement ?

Une mine au bout des doigts.

Nous avons gravi derrière elle les marches d’un escalier branlant aux planches vermoulues, et nous nous sommes assis en rond sur une natte de bambou aux fibres déjà usées. Le thé vert sentait le moisi, les tasses étaient d’une propreté relative, la parole était rare, mais le plaisir de l’aïeule d’offrir son hospitalité était tout aussi grand que le nôtre de la recevoir en toute simplicité.

Plus loin, au cours de nos promenades, les enfants couraient se cacher devant ces diables blancs. Les plus hardis, cachés derrière les jupes de leurs mères, ouvraient des yeux étonnés devant ce monsieur barbu qui, accroupi à leur hauteur, tentait d’engager la conversation. Même le sourire maternel de mon épouse n’arrivait pas à les rassurer totalement.

Ici, pas de faux-semblant, pas de costumes ethniques pour touristes, pas de souvenirs locaux à vendre, pas d’hôtel tout confort pour voyeurs fortunés. Simplement des gens qui vivent encore selon des traditions ancestrales, des gens qui ont su façonner un paysage fabuleux uniquement pour survivre. Ici, pas de trek organisé, les chemins s’offrent à qui veut accepter de pénétrer dans la jungle, ou courir sur les diguettes des rizières en terrasse, franchir des ponts de bambous qui craquent sous le poids, ou s’engager sur d’improbables passerelles chancelantes qui surplombent des rapides rugissants.

Suivre un sentier, c’est, à coup sûr, rencontrer un buffle qui chemine paisiblement, retournant dans son enclos après le travail à la rizière ; c’est arriver subitement dans une cour de ferme adossée à la montagne, près de son bassin à poissons ; c’est faire d’inattendues rencontres de H’môngs ou de Dzaos, portant fièrement leurs costumes traditionnels.

Ici, tout respire la dignité, la sincérité, la vie. De gorges en vallée, de maisons en pilotis en maisons de torchis, de rizières en terrasse en culture sur brûlis, nous avons parcouru pendant quatre jours un monde presque inviolé, qui nous a donné le plus beau de ce que peut offrir le Vietnam.

Pardonnez-moi de ne pas vous en livrer les clefs d’accès ! Mais si vous accepter de fermer tous vos beaux guides touristiques et si vous prenez les chemins de traverse pour faire l’école buissonnière, alors nul doute qu’un jour nous nous croiserons dans ce petit coin de paradis. Attention, cette merveille se mérite : mes os en capilotade en sont témoins !

Texte et photos : Gérard BONNAFONT/CVN

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