Après le passage d'un typhon dans le Centre. |
Comme les hommes prétendent qu’il devient fou, le climat, en plein dérèglement, s’en donne à cœur joie. Nous voilà avec une température à faire s’évaporer les mots à peine prononcés… Le bitume fond, les thermomètres abandonnent toute raison, les poules pondent des œufs durs, les climatisations halètent, les hommes suent. Vous voulez un peu d’eau? À votre disposition! Et voilà un beau typhon propre à noyer l’humanité entière dans un déluge dantesque que n’aurait pas désapprouvé Noé.
Noyades célestes
"Cơn bão" (typhon) est un mot terrible que l’on découvre en arrivant ici. La mise en bouche commence par des pluies diluviennes qui émaillent les semaines d’été. Un ciel bleu comme la pureté des sentiments filiaux d’une progéniture, avant qu’elle ne découvre le goût des crèmes glacées, puis en l’espace d’un battement de paupières, un ciel aussi noir que la morale du malotru qui un jour peut arracher à votre affection, une moto flambant neuve.
En quelques secondes, les pires nimbus qui soient s’agglutinent en une gigantesque bacchanale et déversent d’obscènes trombes d’une eau tiède et poisseuse qui font ressembler les plus violents orages occidentaux à un pipi de chaton prostatique. Ici, ça ne pleut pas, ça cataracte, ça déverse, ça submerge. Les égouts dégoutés abandonnent et éructent leur défaite à grands torrents d’eau boueuse qui s’emparent de tout l’espace libre. La rue devient rivière, les terrains de football se transforment en piscine, les escaliers en cascade, les toits en fontaine et les hommes en poisson. Mais, le plus étonnant est le calme de ces tritons bipèdes qui considèrent cela comme un incident passager…
Qu’importe que les rues soient bloquées, que les maisons soient inondées, après la pluie vient le beau temps. C’est qu’ils le connaissent leur ciel capricieux, capable après de tels excès de se remettre au bleu, en laissant le soin à son complice, le soleil, d’assécher la terre, à en faire bouillir le fleuve Rouge. Par mimétisme, et par raison, l’étranger s’habitue à ces trombes dantesques et fini par laisser mouiller sa chemise sans autre forme de procès… Jusqu’au jour où il est confronté au plat de résistance.
En pleine tourmente
"Cơn bão" depuis plusieurs jours revenait dans les conversations familiales. Et, ce n’était pas juste histoire de dire. On sentait réellement de l’inquiétude, presque de la peur, quand au fil des informations, nous apprenions que le typhon se renforçait et que né, là-bas, à des milliers de kilomètres, il gagnait en force et en colère en se dirigeant droit sur nos côtes.
Il faut dire que le village où nous étions se trouve dans cette région côtière où la mer flirte avec la chaîne de montagne de Truong Son (Cordillère annamite). Contrée rude pour des hommes rudes: pêcheurs ou agriculteurs, ils sont en premières lignes pour encaisser les coups de béliers des ouragans qui, siècles après siècles, viennent s’écraser sur les premières terres habitées rencontrées après leurs longues courses en mer.
Tels de gigantesques pirates d’eau et de vent, ils viennent régulièrement prélever leurs tributs en dégâts matériels et en vies humaines. À l’annonce de l’arrivée imminente du typhon, branle-bas de combat! Les maisons deviennent des arches où tout le monde, humains et animaux se calfeutrent. Au loin, les mugissements du vent annoncent l’apocalypse. Les rafales deviennent bourrasques, tourbillons, karcher démentiel qui nettoie tout sur son passage.
Puis, l’eau se met de la partie, éruptions célestes qui éboulent, engloutissent, noient. L’eau du ciel et l’eau de la terre s’allient pour dévorer sous des torrents de boue, arbres, abris, êtres vivants qui ont le malheur de se trouver sur leur chemin. La terre est boursouflée, animée de brusques mouvements de succions, elle éclate en bulles épaisses, lave froide ou pâte démente qui absorbe la vie qu’elle sut pourtant donner autrefois…
La tempête passe, l’homme reconstruit. |
Dans la maison, une dizaine, enfants et adultes blottis dans le noir (il y a belle lurette que l’électricité a démissionné). Dans un bruit affreux qui fait penser à un immense éclat de rire de la tempête, le toit de la maison se fait la malle en un éclair. Les tuiles sont catapultées aux quatre coins de l’univers. La charpente est écartelée dans un gémissement atroce et juste le temps de se mettre à l’abri, dans une soupente attenante, pour éviter de recevoir une avalanche de gravats.
Les enfants hurlent, les mères tremblent, et les hommes… aussi. En l’absence de toit, la maison se transforme en cuvette. Vite, il faut affronter les flots célestes et terrestres, sauver ce qui peut l’être, protéger le reste. Nul ne sait combien d’heures ou de jours nous avons surélevé les meubles, colmatés les brèches, tendus des protections de plastique, pendant que le typhon, à grands coups de tonnerre lançaient sur nous ses escadrons liquides et venteux, fissurant les murs, abattant les arbres, ébranlant le monde.
Et puis, brusquement le silence, le grand, celui qui suit les catastrophes… L’aurore pointe le bout de son nez en pleine journée. Les nuées s’éloignent pour laisser la place à l’azur. Le vent esquisse encore un ou deux pas de danse, en faisant virevolter quelques planches éparses. Puis, c’est le calme… Nous nous regardons: le typhon est mort, nous sommes vivants. D’autres n’auront pas eu cette chance, écrasés dans leurs maisons écroulées ou noyés dans leurs bateaux retournés. Déjà, la solidarité prend ses droits. Des portes s’ouvrent, des survivants se retrouvent. On compare les dégâts, on estime déjà le temps, l’argent, l’énergie pour tout reconstruire. La vie s’organise…
Le spectacle est désolant, tout est détruit, et du chaos, il va falloir faire renaître la vie. Déblayer, recommencer, jusqu’au prochain typhon. Jusqu’au prochain tribut à payer. Tribut qui augmente chaque année car ce fichu climat déréglé apporte une cohorte de typhons toujours plus nombreux.
Pas surprenant que le Vietnamien soit courageux.
Gérard Bonnafont/CVN