Transactions quotidiennes dans une banque commerciale à Hanoï. |
Photo: Trân Viêt/VNA/CVN |
En Europe, quand on va à la banque pour retirer de l’argent, on entre dans un temple dédié à la finance. L’atmosphère y est compassée, et le rituel qui accompagne les opérations est soumis à un protocole rigoureux… La plupart du temps, il faut d’abord se présenter face à un sas qui ne s’ouvre que si l’on montre patte blanche, à savoir pas de foulard sur le nez, pas de chapeau qui cache le visage…
Il faut surtout connaître la sacro-sainte règle qui consiste à attendre derrière la fameuse ligne de confidentialité. Cette dernière, parfois représentée sur le sol par un épais trait de couleur, sépare la zone d’attente destinée aux profanes et celle sacrée à laquelle on accède quand enfin c’est son tour de se présenter au guichet pour effectuer ses opérations financières.
Malheur à qui franchirait la ligne sans y être invité. Nul besoin de policier pour menacer d’une amende: les yeux réprobateurs du personnel et de la clientèle suffisent à vous couvrir d’opprobre. Vous devenez le paria, l’inconvenant, l’indiscret, l’empêcheur de compter son argent en paix! De fait, vous devenez inquiétant, car dans ces lointaines contrées, les affaires d’argent, ça ne s’étale pas au grand jour.
Atmosphère conviviale
Au Vietnam, rien de tout cela! Si la banque reste un établissement solennel, l’atmosphère qui y règne est plutôt bon enfant. D’abord, ce n’est pas un sas avec un œil de caméra anonyme qui nous accueille, mais un garde en uniforme, bien humain, et qui en plus sait dire bonjour et sourire. Et quand on est connu, il sait même plaisanter et avoir un bon mot pour vous mettre de bonne humeur. Essayez de plaisanter avec une porte blindée, fusse-t-elle vitrée!
À l’intérieur, c’est presque une ambiance de kermesse. Les gens parlent haut et fort, téléphonent, j’en ai même vu qui attendent en grignotant des graines ou des fruits! On peut même oublier de retirer le masque de protection que l’on met devant sa bouche pour faire de la moto, sans que cela inquiète quiconque.
Quant à la ligne de confidentialité, inutile de la chercher: tout le monde se presse au guichet, en une joyeuse bousculade, où chacun interpelle le guichetier pour opérer sa transaction.
Combien de fois me suis-je trouvé à remplir les documents nécessaires au retrait d’argent, en ayant de chaque côté et derrière moi des personnes dont les regards pouvaient glisser sur mon imprimé et ainsi connaître mon identité, mon adresse, et le montant de la somme que je retirais…
Combien de fois aussi, au début, ai-je été aidé par une personne, me voyant hésiter sur le document à remplir, et qui m’indiquait ce que je devais écrire, alors que le guichetier était occupé ailleurs…
Combien de fois, moi-même, ai-je dû aider des personnes qui savaient à peine lire, pour éviter qu’elles ne fassent des erreurs…
En fait, bon sang ne saurait mentir! On retrouve aux guichets de banque cette aimable sollicitude de proximité qui est une des marques de fabrique de la société vietnamienne. Et que, pour ma part, je trouve plus sympathique que l’attitude individualiste et affectée que j’ai pu connaître ailleurs.
Circulation fluide
Mais le plus surprenant reste encore à venir. Et là encore, force m’est de comparer avec d’autres pays, où le transfert d’argent s’effectue en fourgon blindé, protégé par des hommes armés; où tout retrait en liquide nécessite mille précautions: prévenir la banque, dissimuler la somme reçue aux regards des autres clients, bien la cacher sur soi…
Ici, rien de tel. Il faut assister aux retraits d’argent des commerçants le lundi matin pour être témoin de scènes qui pourraient paraître surréalistes ailleurs! Au Vietnam, tout ou presque tout se paye en espèce. Je l’avais déjà évoqué, lors de l’achat d’une maison. La tradition fait que l’on accorde plus de confiance à l’or ou aux billets qu’au morceau de plastique de la carte bancaire.
Donc, pour approvisionner leur fond de caisse et effectuer leurs transactions hebdomadaires, les commerçants retirent des sommes importantes en début de semaine. Sommes qui se chiffrent en centaines de millions…. de dôngs. Or, des millions de dôngs, surtout si on les demande en petite monnaie, ça représente des colonnes de billets.
Transport de fonds anonyme et invisible. |
Et j’avoue qu’au début, j’étais estomaqué par la publicité apportée à ses retraits. Je suis là, à attendre les quelques millions dont j’ai besoin pour ma semaine, quand mon voisin me pousse avec un grand sourire pour récupérer une tour d’une vingtaine de centimètres de billets de 100.000 dôngs que lui glisse le guichetier. Là, à quelques centimètres de mon nez!
Je m’attends à ce que l’heureux récipiendaire enferme sa fortune à double tour dans une mallette, elle-même attachée à son poignet… Nenni! Il sort de sa poche un vieux sac plastique chiffonné, dans lequel il entasse les étages de la tour liés par un élastique et, après un nouveau sourire pour me saluer, sort en balançant de façon décontracté un sac qui contient quoi faire vivre une famille de cinq personnes pendant six mois!
Et encore, ce n’est rien par rapport aux fins de semaine, lorsque les commerçants reviennent avec l’argent qui, économie oblige, a fructifié pendant la semaine. Ce sont de véritables buildings de billets qui sortent de sacs improbables et atterrissent sur le comptoir du guichet, au vu et au su de tous.
Quant aux transports de fonds, inutile de chercher des forteresses roulantes. J’ai vu de tout: du transport de milliards de dôngs dans des caisses en cartons sur une moto, dans un taxi, dans une voiture particulière, et une fois ou l’autre dans une voiture blindée… De quoi faire pleurer toutes les sociétés de sécurité du monde.
Finalement, dans un pays où l’eau circule tant, il est normal que le liquide… suive le courant!
Gérard Bonnafont/CVN