Quand la mer monte, les coraux se souviennent

Retracer et expliquer les variations à long terme du climat est essentiel pour comprendre le réchauffement global actuel et prévoir son impact pour les siècles à venir, en particulier pour les pays du Sud. Les coraux fossiles sont d'excellents indicateurs de la remontée du niveau marin, conséquence directe de la fonte des calottes glaciaires.

Grâce à des carottes récifales extraites au large de Tahiti, des chercheurs de l'IRD (Institut de recherche pour le développement) et leurs partenaires viennent de dater très précisément l'avant-dernière déglaciation : il y a 137.000 ans, l'océan est remonté jusqu'à - 85 m sous son niveau actuel. Au même moment, l'énergie solaire reçue par la Terre en été, paramètre déterminant des cycles climatiques, était maximale dans l'hémisphère Sud et minimale dans l'hémisphère Nord. Tout juste le contraire de ce que pensaient jusqu'à présent les scientifiques : les périodes glaciaires/interglaciaires peuvent aussi s'amorcer dans la partie australe, et non uniquement boréale.

Face aux défis que représente le changement climatique actuel, notamment pour les pays du Sud, il est nécessaire de bien comprendre les mécanismes qui contrôlent le climat sur Terre. Depuis 2 millions d'années, la planète subit de profondes variations climatiques, rythmées par une alternance de périodes glaciaires et interglaciaires.

Les coraux tahitiens : archives du paléoclimat

Excellents indicateurs de la variation du niveau marin, les coraux constituent une véritable archive de la dynamiques des calottes polaires et du climat passé. Nécessitant beaucoup de lumière pour se développer, ils vivent dans de faibles tranches d'eau, entre zéro et 10m de profondeur. Lorsque la mer monte, le récif colonise la pente littorale et les coraux plus anciens, ennoyés sous une épaisse tranche d'eau, périssent par manque de lumière. De plus, il est aisé de les dater par différentes méthodes radiogéniques (radiocarbone, uranium/thorium).

Les chercheurs de l'IRD et leurs partenaires ont foré la barrière récifale au large de Tahiti. Cette campagne, réalisée en 2005 dans le cadre de l'expédition 310 " Tahiti Sea Level " de l'Integrated Ocean Drilling Programe, leur a permis d'extraire parmi les plus longues carottes récifales jamais étudiées. Grâce à celles-ci, les scientifiques ont pu restituer la croissance du récif sur les derniers 150.000 ans. Ils ont ainsi reconstitué les variations du niveau des océans, reliées aux fluctuations du volume des calottes de glaces, au cours des 2 dernières déglaciations.

L'hémisphère Sud pas si passif qu'on le croît

Les paléoclimatologues ont ainsi pu dater très précisément le début de l'avant-dernière déglaciation, il a 137.000 ans, et montré que le niveau marin avait atteint la cote - 85 mètres par rapport au niveau actuel. À cette époque, l'énergie solaire reçue par la Terre en été, élément déterminant des cycles climatiques, était maximale dans l'hémisphère Sud et minimale dans l'hémisphère Nord. Tout le contraire de ce qu'avançait jusqu'à aujourd'hui la communauté scientifique : la moitié australe du globe est également le siège de phénomènes moteurs dans les cycles glaciaires/interglaciaires, et non uniquement la partie boréale.

Quand les astres s'en mêlent

Le processus déclencheur des épisodes de déglaciation serait plus complexe que l'idée, longtemps admise, selon laquelle le facteur principal de la construction (ou la diminution) des calottes de glaces est l'insolation pendant la période estivale aux hautes latitudes de l'hémisphère Nord. Pour expliquer les cycles climatiques, il faut regarder du côté de la relation de la Terre avec son soleil : c'est la théorie astronomique du climat, développée par le géophysicien serbe Mulution Milankovitch au début du 20e siècle. Selon celle-ci, les paramètres orbitaux de la Terre régissent son climat en modulant les variations saisonnières et latitudinales d'énergie solaires reçue à la surface de la planète. Les étés chauds sont favorables à la fonte progressive des calottes de glaces. Inversement, plus les étés sont frais, plus les calottes s'accroissent. Dans l'hémisphère Sud, les continents n'occupent qu'une très faible surface. D'où l'idée longtemps admise, avancée par Milankovich, selon laquelle cette moitié du globe ne jouerait qu'un faible rôle dans le déclenchement des glaciations/déglaciations. Par contre, dans l'hémisphère boréal, les continents prédominent par rapport à l'océan. La ceinture continentale (Amérique et Eurasie) autour du pôle Nord offre ainsi un support permettant à de grandes calottes glaciaires de se construire. Pour mieux disparaître en période de déglaciation et modifier le climat terrestre dans son ensemble.

Grâce aux indications sur les variations du niveau des mers, et donc des calottes polaires, révélées par les coraux tahitiens, les chercheurs ont infirmé l'hypothèse classique d'après laquelle seule l'insolation aux hautes latitudes Nord influe sur les changements glaciaires/interglaciaires. Ils ont montré que la fin de l'avant-dernière période glaciaires, il y a 137.000 ans, mettait en jeu des phénomènes dans les 2 hémisphères terrestres.

Faute d'une compréhension suffisante des processus en jeu, le Groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat (GIEC), ne prend pas en compte, dans son rapport de 2007, la réponse dynamique des calottes glaciaires au réchauffement climatique actuel. Il reconnaît qu'il s'agit de la principale incertitude pesant sur les prévisions de l'augmentation du niveau marin à l'horizon 2100. Ces travaux apportent donc un éclairage nouveau sur les processus incriminés et le rôle majeur qu'ils ont pu jouer par le passé sur les variations rapides du niveau marin.

(IRD/CVN)

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