Quand Dior, en les "copiant", fait les beaux jours des artisans roumains

D'abord stupéfaits de découvrir dans la collection de la maison de couture Dior un vêtement en tout point similaire à leur tenue traditionnelle, les artisans de la région roumaine de Bihor se frottent aujourd'hui les mains. Car les commandes ont commencé à pleuvoir.

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Une femme employée au musée local de la région de Bihor montre un vêtement traditionnel vieux de 100 ans, le 17 juillet 2018 à Beius, en Roumanie.

Pas de doute à leurs yeux, un mannequin de la célèbre marque était bien vêtu, dans le catalogue automne-hiver 2017, d'un "cojocel binsenesc", un gilet sans manches en peau de mouton retournée, orné de broderies aux couleurs vives et bordé de fourrure noire, comme le portaient leurs aïeux pour les grandes occasions.

"Ce jour-là, j'ai posté mon premier commentaire sur Facebook, remerciant la maison Dior d'avoir apprécié ce bel objet", confie à l'AFP Dorina Hanza, une brodeuse âgée de 52 ans.

Mme Hanza et les autres artisans de cette région du nord-ouest de la Roumanie n'ont pas été les seuls frappés par la similitude: les médias locaux ont crié au scandale, accusant Dior de "vol".

"Depuis, tout le monde veut en avoir un", se félicite Ana Florea, animatrice d'un club d'artisans de Beius, près de la frontière hongroise. Un juste retour des choses, car "ce gilet est à 100% le nôtre", souligne-t-elle.

"Ils auraient dû dire: nous l'avons emprunté auprès du peuple roumain", acquiesce Mme Hanza, qui se réjouit malgré tout de ce coup de projecteur inattendu offert au cojocel. "Sinon la tradition aurait été perdue".

Dorina Hanza, brodeuse, montre deux vêtements traditionnels de la région de Bihor, le 17 juillet 2018 à Beius, en Roumanie.

"Merci Dior"

Diana Naprodean, 44 ans, partage sa joie: "Ils ont très bien fait de le copier, cela prouve qu'il est joli", s'enthousiasme-t-elle. Du coup, cette bibliothécaire, qui adore crocheter et broder, s'est mise à confectionner son premier gilet traditionnel.

Celui-ci a déjà trouvé acheteur: une Roumaine établie à l'étranger et prête à débourser 500 euros pour acquérir cet article qui demandera des semaines de broderie minutieuse. Très en-deçà du prix affiché par Dior, ce montant représente un complément important dans un pays où le salaire moyen plafonne à 520 euros.

"Merci Dior, grâce à vous nous avons recommencé à aimer notre costume traditionnel", se réjouit également une autre jeune couturière de Beius, Diana Herdelo, 33 ans, qui s'apprête aussi à se lancer dans la confection de ce modèle, vu le succès qu'il rencontre.

En réponse à cet intérêt accru, le magazine roumain Beau Monde et l'agence de publicité McCann ont lancé une campagne en ligne baptisée "Bihor Couture" ainsi qu'un site internet où l'on peut commander des gilets, des blouses brodées ou des colliers traditionnels. Avec un million de vues à ce jour et un millier d'articles commandés.

"Notre but a été d'aider les gens de cette région, de mettre en valeur leur travail et des traditions qui risquaient de mourir", indique l'ancienne rédactrice en chef Roxana Dobrita, se félicitant des "nombreuses commandes" reçues par les artisans de Bihor.

Un homme en tenue traditionnelle de la région de Bihor, dans un livre paru dans les années 60, le 17 juillet 2018 à Beius, en Roumanie.
Photo: AFP/VNA/CVN

"Sacrilège" par mégarde

Malgré ce succès par ricochet, Catalin Dobre, directeur de création chez McCann, estime que "l'industrie de la mode devrait faire plus pour soutenir les traditions". "À travers le monde, de grandes marques s'inspirent des différentes cultures sans le reconnaître", déplore-t-il.

Conservateur au Musée du paysan roumain de Bucarest, Horatiu Ilea considère que les accusations visant Dior ne sont pas justifiées: "La culture est vivante, les idées circulent, on ne peut pas les en empêcher", relève-t-il, soulignant que "l'appropriation culturelle" existe "depuis l'Antiquité".

Selon lui, "au lieu d'éreinter ceux qui ont copié cet objet sans s'en rendre compte ou sans en demander l'accord, la Roumanie devrait savoir profiter de cet incident, en lançant par exemple une campagne de promotion des objets traditionnels et de l'artisanat".

Plagiat ou pas, un détail d'importance n'a pas échappé aux habitants de la région: le gilet endossé par la jeune mannequin parisienne arborait des motifs exclusivement réservés aux hommes.

"Un symbole phallique est brodé sur le dos et seuls les adultes en âge de procréer sont autorisés à le porter", souligne le directeur du musée local de Beius, Cristian Tota. "La tradition ne permet pas qu'une femme porte un cojocel pour homme ou l'inverse", abonde Mme Hanza, relevant que "c'est une profanation, un sacrilège".

Mais voilà un élément que la célèbre maison de française "ne connaissait certainement pas", grimace cette mère de trois enfants.

Dior n'a pas répondu aux sollicitations de l'AFP pour commenter ces allégations d'avoir "copié" cette tenue.


AFP/VNA/CVN

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