Quan ho à la découverte du pays des duos d'amour

Le quan ho (chant alterné) a été reconnu fin septembre patrimoine culturel immatériel de l'humanité. À côté de sa valeur purement artistique, cet art vocal est aussi un puissant facteur de cohésion sociale.

Avec son vieux temple dédié au culte du Génie fondateur du quan ho, le village de Diêm, distant de 5 km du chef-lieu provincial de Bac Ninh, est considéré comme le berceau de cet art vocal. L'aire culturelle du quan ho comprend maintenant 49 villages des provinces de Bac Ninh et Bac Giang.

Un repertoire de 400 chansons

La plupart des airs de quan ho se sont transmis oralement, de génération en génération. On recense à présent quelque 400 chansons dont l'interprétation n'est pas à la portée du premier venu et nécessite un long apprentissage. Autrefois, chaque village réservait un bâtiment spécial où chanteuses et chanteurs se retrouvaient pour s'exercer.

À la différence d'autres chants folkloriques, le quan ho est accompagné d'un style d'expression, vestimentaire et gastronomique assez codifié. En plus, il est le plus souvent interprété lors des fêtes villageoises. Chaque village a en effet sa propre fête annuelle lors de laquelle la cérémonie dédiée au génie tutélaire est nécessairement suivie d'un festival de quan ho. L'occasion d'inviter des troupes d'autres villages. Autre point important : le style vestimentaire. Pas question en effet de s'accoutrer. L'homme porte une longue tunique en soie à 2 pans (l'ao the) noire ou bleu marine, qui descend en-dessous des genoux, un pantalon blanc et un turban noir. La femme, une longue tunique à 4 pans à 4 couleurs (l'ao tu thân) serrée à la taille par une ceinture de tissu colorée, une longue jupe noire et un fanchon noire. Elle tient parfois en main un grand chapeau conique plat agrémenté d'une mentonnière en soie colorée (le non quai thao). Les chants sont accompagnés d'invitation à boire, à chiquer du bétel, à participer à des agapes... Des invitations exprimées bien évidemment en chanson, qu'il est bien difficile de refuser...

Nostalgie de nonagénaires

"Une des particularités du +quan ho+, c'est cette coutume ancestrale de nouer des liens de jumelage et d'amitié d'un village à l'autre", explique Nguyên Van Bich, 95 ans, du village de Hoai Thi, district de Tiên Du. Amateur de quan ho depuis au moins 80 ans, le vieil homme est une des mémoires vivantes de cet art. "Autrefois, mon village comptait 7 troupes, chacune d'une douzaine de personnes, qui étaient jumelées avec des troupes de villages voisins, en respectant la parité homme-femme". En effet, le quan ho est un chant alterné où 2 femmes répondent à 2 hommes, et vice-versa "Ma troupe, poursuit-il, composée d'hommes, était jumelée avec une troupe féminine du village de Diêm. En ce temps-là, on organisait souvent des soirées entre troupes jumelées. On chantait parfois la nuit entière, voire plusieurs nuits d'affilée". Les chansons parlent de l'amour entre homme et femme, de l'amour de la terre natale, de l'amitié entre villageois... le tout sur un mode poétique et métaphorique. "La vie était difficile mais le +quan ho+ nous donnait la joie de vivre. Nous partagions ensemble les peines et les joies de l'existence", confie le vieil amateur de quan ho.

À Diêm, berceau du quan ho, existe toujours une maison de rendez-vous des chanteurs(euses), vieille de près de 200 ans. "Cette maison, confie la propriétaire, Nguyên Thi Khu, 90 ans, possède 9 pièces latérales. Les chanteurs et chanteuses se plaçaient à part, les hommes à gauche et les femmes à droite. Nous nous y rendions tous les soirs et les chants alternés étaient échangés parfois toute la nuit". Avec le temps, la famille s'est agrandie, et le bâtiment est devenu le lieu d'habitation des descendants. Mais une partie est encore réservée au quan ho. "Il y a chaque année 2 grandes fêtes dans notre village : l'une dédiée au génie fondateur du +quan ho+, les 6e et 7e jours du 2e mois lunaire, et l'autre dédiée au génie tutélaire, les 6e et 7e jours du 8e mois lunaire. Une semaine avant chaque fête, notre maison ouvre ses portes pour accueillir des chanteurs et chanteurs venus de loin", explique Nguyên Thi Khu.

Ngô Van Su, 87 ans, se rappelle les jours de fête à Diêm où l'on chantait partout, dans la cour du dinh (maison commune) jusque sur les pentes des collines, en passant par la rivière Câu ou le vaste étang au bout du village... Dans sa jeunesse, le village de Diêm possédait, à lui seul, une dizaine de troupes qui entretenaient des liens de jumelage et d'amitié avec les troupes de villages voisins. "Avec l'afflux des chanteurs, chanteuses et visiteurs, notre village était transfiguré. Nous chantions passionnément, le coeur débordant de joie. Et nous poursuivions jusque fort tard dans la nuit. Mais à présent, il n'y a plus de troupes villageoises de quan ho, regrette-t-il. Il reste cependant un club assemblant une centaine de chanteurs et chanteuses, dont l'âge va de 7 à 77 ans, voire même beaucoup plus puisque nous avons aussi une centenaire !".

À Lim, la grande fête annuelle du quan ho

La grande fête du quan ho a lieu chaque année, le 13e jour du 1er mois lunaire, dans le village de Lim, un de ces 49 "villages chantants", situé à une trentaine de kilomètres au nord de Hanoi, d'où son autre appellation de "Festival de Lim". À ce moment de l'année, le Têt traditionnel (Nouvel An lunaire) vient de se terminer mais l'esprit est encore à la fête. "Cette fête est, selon le professeur japonais Tokumaru, un ethnologue, l'occasion de découvrir cette magnifique culture du +quan ho+". Il s'est rendu plus d'une fois dans les villages de quan ho comme Diêm, Vân Kham, Ngang Nôi… pour ses recherches. "Les activités autour du +quan ho+ jouent un rôle très important dans la société vietnamienne, non seulement à Bac Ninh mais aussi dans l'ensemble du pays. Dans une certaine mesure, on peut même affirmer que ces chants sont la quintessence de la culture folklorique du Vietnam. Cet art oral renforce les liens au sein d'un village et aussi entre villages, nourrit les relations et donc contribue à l'harmonie sociale".

Nghia Dàn/CVN

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