Pourquoi se faire du mauvais sang ?

Quand un touriste choisit de venir visiter le Vietnam, une de ses premières questions est souvent : «Doit-on prendre un traitement contre le paludisme ?». La crainte qu’inspire le moustique est à la hauteur de sa réputation. Pourtant, pas de quoi en faire une histoire ! Quoique...

Selon le dictionnaire, le moustique est un petit insecte ailé dont la femelle pique la peau pour aspirer le sang. Selon les hommes, c’est une «saleté de petite bête qui fait mal quand elle pique, et transmet plein de maladies, pas agréables du tout». Et, n’en déplaise aux fervents défenseurs du féminisme, ce sont les femelles de l’espèce qui harcèlent les humains, alors que les mâles se contentent de jouer leur rôle de reproducteur auprès de leurs compagnes vampires. Et le pire, c’est que ces mégères n’éprouvent aucun sentiment de solidarité vis-à-vis de la gent féminine en général.

Hommes ou femmes, peu importe. Elles piquent, sans discrimination ! Et à chaque fois que ma fille en fait la cruelle expérience, je ne peux m’empêcher de lui conter la terrifique mais véridique histoire du moustique que le Vietnam, dans sa sagesse populaire ancestrale, a inventé pour expliquer l’acharnement avec lequel les moustiques… femelles s’acharnent sur les humains.

Une peau trop dure pour un moustique, mais qui supporte bien un autre «moustique».

Du sang froid...

Il était une fois, deux époux qui s’aimaient le plus tendrement du monde. Hélas ! Peu de temps après leur mariage, la jeune femme mourut subitement. Son mari connut une douleur sans bornes, au point de vouloir se suicider. Mais pour que le conte puisse se poursuivre, il était évident que malgré de multiples tentatives, il ne put y arriver.

Or, le jour des funérailles, un sorcier lui indiqua le moyen de faire revivre sa bien-aimée. Il suffisait d’embrasser trois fois par jour la défunte, et au bout de deux mois elle ressusciterait. Je ne sais pas si le sorcier s’était fait payer pour cette information, mais si tel a été le cas, le pauvre mari s’était fait avoir.

En effet, n’est pas Blanche-Neige ou la Belle au bois dormant qui veut, et malgré les bisous répétés du mari, le cadavre continuait à rester ce qu’il était. Alors que le mari dépité commençait à se faire mal voir des voisins (N’oubliez pas que la pauvre femme était morte depuis près de deux mois et qu’elle n’était toujours pas enterrée ! Vous sentez ce que je veux dire ?), il décida de s’installer, avec son épouse défunte, au bord de la rivière…

Assis sur la rive, il vit arriver un vieillard à la barbe blanche, qui lui dit : «Verse trois gouttes de ton sang dans la bouche de ta femme et elle revivra !». Aussitôt dit, aussitôt fait, et la morte redevint aussitôt la belle et tendre femme qu’il avait connue. Joie, exaltation, remerciements, c’était la fête. Mais le vieillard calma le jeu en disant à la femme : «Éprouvez-vous de l’amour pour ce jeune homme qui vous a prêté trois gouttes de sang pour votre résurrection ?». Pensez bien que la femme jura plutôt deux fois qu’une qu’elle n’aimait que lui ! Sur ce, le vieillard ajouta : «Trois gouttes de sang, c’est peu de choses. Si un jour vous ne l’aimez plus, vous n’aurez qu’à lui rendre !». Et il disparut dans la brume matinale. Parce que dans les contes, la brume c’est bien pratique pour que les héros ou les magiciens disparaissent.

De toute façon, les amoureux s’en souciaient comme de leur première chemise, et tout au bonheur de se retrouver, décidèrent de regagner leur maison, histoire de se refaire une deuxième nuit de noce.

... ou du sang neuf !

En cours de route, ils croisèrent un riche et jeune marchand, qui tomba sous le charme du premier regard que lui a lancé la nouvelle ressuscitée. Foudroyé d’amour et de désir, le marchand décida de suivre les deux époux jusqu’à leur maison. Alors que ceux-ci auraient bien voulu être seuls, le marchand insista pour leur montrer de belles étoffes de soie, des bijoux en jade et en argent, des objets précieux…

La jeune femme, durant son séjour chez les morts, n’avait pas oublié la beauté de toutes ces choses, et demanda à son mari d’offrir à manger au marchand, tandis qu’elle ouvrait une à une les malles que les serviteurs apportaient. Pendant le repas, le marchand, séducteur transi, versa discrètement du somnifère dans le verre du mari, amoureux tout autant transi. Bientôt, ce dernier sombra dans un profond sommeil. Pendant que le mari était dans les bras de Morphée, la jeune femme tomba dans ceux du marchand et partit avec lui sur sa jonque.

À son réveil, le mari apprit l’histoire par des voisins… bien intentionnés ! Aussitôt, il se précipita vers la rivière et sauta dans une barque. Poussé par l’énergie du désespoir, il rama, rama, et réussît à rejoindre la jonque. Il hurla à sa femme : «Saute ! Je ne peux vivre sans toi ! Je te rendrai heureuse !» (Ils disent tous ça). Elle répondit : «Rentre chéri ! Je suis ingrate à ton égard. Pardonne-moi !», comme si l’excuse était suffisante.

Aussitôt, miraculeusement, le vieillard réapparut et dit à la femme : «Rend à ton mari les trois gouttes de sang qu’il t’a donné, puisque tu ne l’aimes plus !». Aussitôt dit, aussitôt fait, comme je l’ai dit plus haut ! Mais aussitôt, morte de nouveau ! Le riche marchand eût beau dépenser sa fortune pour la faire revivre… Impossible. Finalement, désespéré, il jeta son corps à la mer. Or, au moment d’être engloutie dans les flots, par je ne sais quel tour de magie, la jeune morte se transforma en moustique. Et depuis, elle va de-ci de-là, piquant les gens pour récupérer ses trois gouttes de sang, et qu’importe que vous fussiez homme ou femme ! Il faut dire qu’un cerveau de moustique ne doit pas faire la différence...

Comme quoi des démangeaisons intimes peuvent produire bien des démangeaisons cutanées! Maintenant, je suis certain que lorsque vous verrez des moustiques au Vietnam, vous ne les considèrerez pas de la même façon. Mais sortez couverts malgré tout !

Gérard BONNAFONT/CVN

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