>>La cuisine florale au Vietnam
Les crabes de rizière. |
Dans un restaurant, vous pouvez commander plusieurs plats à partir de crabe, sous toute ses formes : en pâté, même impérial, bouilli, en potage avec des pointes d’asperges, à la sauce aigre-douce ou au sel. Tous ces mets font usage des crabes de mer, plutôt «aristo» parce qu’ils coûtent cher.
Ma regrettée amie la poète Françoise Corrèze était friande des vermicelles aux crabes de rizière. Chaque fois qu’elle venait à Hanoï, elle ne manquait jamais d’aller au marché de Dông Xuân savourer cette soupe des paysans du delta du Nord. Elle en a parlé dans son livre Vietnamiennes au quotidien : «Un seul éventaire (dans le marché Dông Xuân) en présente car cette soupe nécessite une longue préparation. Deux bancs en équerre devant une table étroite. Une immense marmite emplie de vermicelle et un chaudron contenant un bouillon roux fumant et parfumé. Tout est propre, les récipients, les bols lavés chaque fois à l’eau chaude qu’une vieille femme renouvelle régulièrement. Le bol plein saupoudré de persil haché coûte cinq cents dôngs. C’est excellent».
Les crabes de rizière, après avoir été bien lavés et décortiqués, sont pilés pour obtenir la bouillie qui servira à préparer un potage. |
Nombre de ressortissants vietnamiens de Paris ont, paraît-il, une telle nostalgie de la soupe aux crabes de rizière qu’Air France leur apportait une fois par semaine encore vivants. Je n’ai pas encore vérifié l’authenticité de cette rumeur.
Petite recette pour réussir son potage
Pour confectionner le plat selon la méthode traditionnelle, on doit piler les crabes en entier dans un mortier en pierre avec un gros pilon en bois. Ça demande un temps fou. La bouillie obtenue sert à préparer soit un potage de légumes (baselle, liseron d’eau, rau rut, taro), soit une soupe aigre (riêu cua) aux vermicelles dont l’agréable acidité est donnée par des tomates, des feuilles ou fruits sauvages. Riche en calcaire, la bouillie de crabes pilés est aussi une recette populaire de la médecine traditionnelle : le suc qu’on en tire est destiné aux vieilles gens qui souffrent de douleurs lombaires, ou aux enfants rachitiques.
Un potage de crabes de rizière est prêt à être servi avec du riz. |
Photo : Linh Thao/CVN |
Depuis des millénaires, avec les petits poissons et les minuscules escargots, les crabes de rizière ont constitué une importante source de protéine pour les paysans pauvres. L’expression «mò cua bat ôc» (pêcher les crabes et ramasser les coquillages) s’applique aux miséreux du village. À la campagne, les enfants commencent à les attraper dès l’âge de six ou sept ans. La pêche se pratique surtout après la moisson d’été. On prend les crabes à la main nue, en plein midi, quand la canicule les oblige à sortir de leurs galeries creusées dans les talus.
Il faut parfois enfoncer le bras jusqu’à l’épaule dans la boue ou dans leurs trous où on peut se cacher un serpent. Les crabes se font plus rares à cause des insecticides répandus dans les rizières.
(Décembre 1994)
Huu Ngoc/CVN