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"On compte tout" : les Turcs éprouvés par l'effondrement de leur monnaie

Sur le marché populaire d'Eminönü, près du grand bazar d'Istanbul, Naime sort son calepin : avec l'effondrement de la livre turque, les étiquettes valsent d'un jour à l'autre. "Je note les prix et je compte tout", confie la retraitée.

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Des clients au marché populaire d'Eminönü, près du grand bazar d'Istanbul, le 27 avril.
Photo : AFP/VNA/CVN

La monnaie nationale a passé jeudi 18 novembre pour la première fois de son histoire la barre des 11 livres pour un dollar. La livre turque, dont la dégringolade s'accélère, a vu sa valeur fondre d'un tiers face au billet vert depuis le début de l'année.

Et les économistes préviennent que ce n'est sûrement pas fini avec les choix baroques du président Recep Tayyip Erdogan, vent debout contre toute hausse des taux d'intérêt au risque d'une inflation galopante, déjà à près de 20% sur un an.

Jeudi 18 novembre, la Banque centrale a de nouveau abaissé le taux directeur d'un point à 15%, provoquant le plongeon immédiat de la monnaie. "Je ne peux plus acheter ce que je veux. Quand je vais au marché, d'un jour à l'autre les prix changent", explique Naime.

Autrefois, dit-elle, elle pouvait aisément s'offrir des vacances avec sa famille. "C'est fini tout ça, maintenant on arrive à peine à joindre les deux bouts".

"Nos salaires, c'est du vent"

Abdullah Cici et son épouse, un autre couple de retraités, s'est infligé un long trajet jusqu'au bazar d'Eminönü en espérant payer moins cher. "On a trois fois rien et on a dépensé 120 livres (9,5 euros)", se plaint l'homme de 75 ans, désignant le cabas de son épouse.

"On aurait besoin de beaucoup d'autres choses... Ils ont des salamis, des soudjouk (sorte de saucisse épicée) là-bas. Je les adore, mais je ne peux plus me les permettre", confie-t-il avec une nuance de regret en montrant l'épicerie de ses rêves.

"Les salaires, c'est du vent maintenant''. Hatice, son épouse, complète : "On achète par petites quantités, une livre au lieu d'un kilo".

Les prix flambent en Turquie depuis l'été dernier. Le chef de l'État a accusé les grandes enseignes de supermarchés.

Mais le salaire minimum net plafonne à 2.825 livres soit, au cours du jour, 224 euros. Et pour les observateurs, il est devenu impossible de vivre en famille avec cette somme dans les grandes villes.

Un pain vaut 2,5 livres et un kilo de viande hachée (la plus consommée), 90 livres. Les cinq litres d'huile ont dépassé les 100 livres.

Le taux de chômage, dans ce pays de 83 millions d'habitants, atteignait officiellement 11,5 % en septembre mais nombre de Turcs trouvent à s'employer dans le secteur informel, agriculture ou construction.

Au bazar, les vendeurs s'époumonent en criant que, chez eux, "il n'y a pas d'augmentation".

Feriye est venue acheter un manteau à son mari en espérant tomber sur une affaire, faute de pouvoir fréquenter les centres commerciaux qui ont fleuri partout en ville. "J'ai une pension de 2.600 livres (200 euros). Comment voulez vous que je paye un manteau 1.600 (120 euros) ?" demande-t-elle. "Je ne sais pas si je vais trouver quelque chose d'abordable ici".

Sur le pont de Galata qui enjambe la Corne d'Or, Hafzullah Canbay a lancé sa canne à pêche en attendant de prendre son service comme chauffeur de minibus.

Pour lui, les politiques actuelles ne font qu'enrichir les riches et appauvrir les plus pauvres. "Ne me demandez pas quelle est la solution. Je vais vous dire clairement : je n'attends rien des politiques, quels qu'ils soient". "Ne me demandez pas non plus si j'ai encore de l'espoir. Je n'en ai plus. Je ne vois aucune éclaircie", dit-il.

L'homme a même renoncé aux pique-niques avec ses enfants le weekend. "Ce n'est plus possible, on doit vivre en comptant tout. Voilà où on en est".


AFP/VNA/CVN

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