Millénaire de Hanoi : Tháp Rùa, la Tour de la Tortue

Dans le subconscient des Hanoiens, 3 modestes constructions émergent comme emblèmes de leur cité : la Pagode au Pilier unique, le Pavillon de la Constellation des Lettres au Temple de la Littérature et la Tour de la Tortue au Lac de l'Épée restituée. Nous en présentons ci-après le dernier : la Tour de la Tortue.

Chaque matin, à six heures Radio-Hanoi s'annonce par une chanson assez romantique :

"Où que nous soyons aux quatre coins du monde

Notre cœur est tourné vers Hanoi.

O Lac de l'Épée aux eaux émeraude

Où se mire, inclinée, la Tour de la Tortue".

La Tour de la Tortue (Tháp Rùa) était présente durant les longues veilles des maquisards de nos deux guerres. Lieu de nostalgie pour beaucoup de Vietnamiens disséminés dans le monde, "boat people" ou autres. Sans être l'emblème officiel de Hanoi, il n'en est pas moins un symbole affectif, le motif qui évoque la capitale, comme la tour Eiffel à Paris ou la statue de la Liberté à New York.

La Tour de la Tortue est bâtie sur un îlot minuscule, au milieu du Lac de l'Épée, dans la partie sud, îlot où parfois des tortues viennent se chauffer au soleil. Rappelons que d'après la légende, au 15e siècle, le roi Lê Thai Tô, après avoir chassé les envahisseurs Ming, se trouvait dans une barque, sur le lac, le Génie-Tortue émergea pour reprendre l'épée sacrée qu'il lui avait prêtée. De là le nom de Hô Hoàn Kiêm (Lac de l'Épée restituée), lac dans lequel vivent actuellement quelques tortures géantes d'environ 500 ans.

Alors que le Temple de la Montagne de Jade (Ngoc Son) situé sur un autre îlot du Lac tire fierté de ses titres de noblesse, comme temple confucéano-taoïste édifié sur le site d'un palais seigneurial (16e-18e siècle), la Tour de la Tortue n'est qu'un vulgaire petit pagodon à base carrée, construit vers 1886, au lendemain de la conquête française. Le créateur Ba Kim était un petit mandarin (bang ta) à la solde des administrateurs coloniaux qui l'employaient comme agent à tout faire à Hanoi. Adepte de la géomancie, il voulut, une fois le pagodon bâti, y inhumer les ossements de son père. Mais son projet tomba à l'eau !

Une anecdote circulait au sujet de la fille de Ba Kim qui tenait boutique Rue des Plateaux (Phô Hàng Khay), au bord du Lac. En 1886, parmi les 5.000 lettrés candidats au concours triennal régional, plusieurs groupes indignés par le langage irrévérencieux de la fille du traître, saccagèrent sa boutique. Les Français saisirent la nuance politique de cette manifestation. Ils fermèrent le Centre des Concours de Hanoi, afin de le transférer au Centre de Hà Nam qui pouvait être contrôlé plus facilement.

Mais revenons à la Tour de la Tortue.

Comment se fait-il que ce pagodon insignifiant, d'un style architectural hybride avec ses ouvertures en ogive, enfanté par un traître à la nation dans un but inavouable, ait pu avec le temps devenir un haut lieu de la mémoire de Hanoi, au même titre que la Pagode au Pilier unique ou le Temple de la Littérature qui datent du 11e siècle ?

C'est que depuis près de cent ans, il est devenu une image familière du Lac de l'Épée, havre de paix et de fraîcheur, au cœur des quartiers surpeuplés. Les générations se sont succédé, on a oublié ou décidé d'ignorer son constructeur ; l'impression choquante des ogives est émoussée. Les couples d'amoureux appuyés contre les saules pleureurs au bord du Lac, se sont habitués à son aspect : l'effet Pont Mirabeau d'Apollinaire ! Puis, en toile de fond se sont greffées des images patriotiques : le drapeau révolutionnaire hissé subrepticement au somment de la Tour au temps de l'occupation étrangère. Et voilà la cristallisation sentimentale achevée !

Il faut reconnaître d'autre part qu'avec ses dimensions et ses proportions raisonnables, la mousse qui le recouvre et l'herbe qui folâtre à son pied, la Tour s'insère harmonieusement dans le carde du Lac. Il y a un peu plus de 10 ans, la municipalité a voulu le moderniser en badigeonnant ses murs et en aménageant des sentiers. La presse a réagi par une telle campagne qu'on a dû le remettre en son ancien état. On ne peut ravir au peuple ce qui déjà fait partie de son âme.

La même erreur a été commise au lendemain de la réunification nationale. On a voulu remplacer l'ancien hymne national, baptisé au feu des combats révolutionnaires et des guerres de résistance. Devant la réaction populaire,

l'œuvre de Van Cao a été conservée.

Huu Ngoc/CVN

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