Mettre la main à la pâte

Si se nourrir est une nécessité, la gastronomie se met au service du plaisir de la table. Au Vietnam comme ailleurs ! Même si parfois il faut avoir du bol pour être dans son assiette…

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Le Vietnam possède une cuisine capable de séduire les papilles les plus exigeantes. Faisant la part belle aux arômes les plus subtils, mariant sucré et salé, doux et amer, mou et croquant, selon la plus pure tradition du Ying et du Yang, elle conjugue à l'infini des produits de la nature. Ce qui donne une carte de centaines de plats différents, souvent peu connus des étrangers qui n'ont abordé cette richesse qu'au petit restaurant vietnamo-sino-thaïlandais de son quartier, aux plats adaptés pour des palais occidentaux. Dès lors, quand on vit ou voyage au Vietnam, la tentation est grande de tester tous ces mets aux noms imprononçables et aux goûts si… exotiques ! Oui, mais voilà, entre le désir et le plaisir, il existe une distance qui parfois s'apparente au supplice de Tantale.

Pâtes en pâtée

«Je mangerais bien un bún chả». Combien de fois n'ai-je entendu ces mots prononcés d'une voix avide de découverte sensorielle par des amis fraîchement débarqués. Combien de fois me suis-je dis alors «L'épreuve va être rude». Pas tant pour trouver un restaurant où l'on sert du «bún chả» : ça court les rues en ville et à la campagne. Il y en a même qui se sont spécialisés en la matière pour n'offrir que cela aux gourmands et gourmets de passage.

Non, ce qui m'inquiète, c'est le mot «bún» (vermicelle de riz). «Bún chả» (vermicelle au porc grillé), «bún bò» (vermicelle au bœuf sauté), «bún nem» (vermicelle au rouleau impérial), autant de plats d'une simplicité désarmante qui peuvent devenir un véritable calvaire par la seule présence de «bún».

«Bún chả», «bún bò», «bún nem», autant de plats d’une simplicité désarmante qui peuvent devenir un véritable calvaire par la seule présence de «bún».

Pour les néophytes, «bún» est un vermicelle de pâte de riz. Contrairement aux vermicelles de blé dur, ils ne se présentent jamais sous forme sèche, mais toujours sous forme molle. Inutile de les cuire pendant plusieurs minutes à feu vif, ils sont consommés froids, agrémentés d'une sauce plus ou moins tiède, comme le «bún chả», ou plongés dans un bouillon comme le «phở».

Jusque là, tout va bien, mais c'est au moment de le saisir pour le porter à la bouche ou au bol que «bún» Jekyll devient «bún» Hyde. Commençons par le cas où le «bún» est servi dans une assiette de laquelle il convient d'en extirper quelques exemplaires à mettre dans son bol. Ce qui est le cas du «bún chả» ou «bún nem», par exemple. Pour qui a déjà vu un nœud de vipères, l'assiette de «bún» y ressemble en version immaculée. Les vermicelles frais sont enchevêtrés les uns aux autres de façon inextricable.

Vous me direz qu'une assiette de spaghettis présente à peu près la même configuration, et que l'on n'en fait pas toute une tranche de vie pour les manger. C'est pourquoi, pour bien comprendre ce qui est à l'œuvre, vais-je me fendre d'un petit cours de chimie culinaire, histoire de rehausser le niveau culturel de cette chronique !

Dans le blé dur des spaghettis, comme dans la farine de riz des «bún», il y a de l'amidon, lui-même composé de molécules d'amylose et d'amylopectine. Pour faire court, à la cuisson, toutes ces molécules s'agitent et l'amylopectine devient un vrai pot de colle. D’où la cuisson des spaghettis «al dente», pour éviter à l'amylopectine de transformer les pâtes en glu.

Accessoirement, on les rince également. Ce qui ne vaut pas pour les «bún» qui, loin d'être «al dente», s'avachissent mollement pour être consommés après leur transformation de pâte en pâtes ! Chaque «bún» est ainsi transformé en papier adhésif qui s'agglutine à ses congénères, formant un véritable nœud gordien, dans lequel il va falloir puiser avec nos baguettes. Et c'est là que le spectacle commence.

Appâter les pâtes

Transformer sa paire de baguettes en une pince capable de désolidariser un petit paquet de «bún» collant d'un gros tas de «bún» collant nécessite d'abord dextérité et pugnacité.

Transformer sa paire de baguettes en une pince capable de désolidariser un petit paquet de «bún» collant d'un gros tas de «bún» collant nécessite d'abord dextérité et pugnacité. Il faut, d'un geste assuré, plonger ses baguettes dans le fouillis de vermicelles, s'emparer d'une portion et tirer pour la faire quitter définitivement sa communauté d'origine et la transférer dans votre bol.

Même si l'on maîtrise l'art des baguettes, il faut alors compter avec la mauvaise volonté de nos vermicelles qui refusent de se séparer de leur groupe en s'agrippant de toutes les forces de leurs molécules d'amylopectine à ceux qui restent dans l'assiette. Bien sûr, il suffit de tirer pour que finalement ce soit nous qui emportions le morceau. Seulement, un «bún», c'est long, c'est même très long, c'est plus long que l'envergure d'un bras étiré au maximum ! Et ce bras, il faut bien, à un moment, le replier pour que les «bún», coincés entre les baguettes, arrivent dans le bol.

On assiste alors à cette scène désolante d'un convive qui, après avoir pris l'attitude du pêcheur à la ligne faisant admirer sa prise, arrive tant bien que mal à déposer son butin dans son bol, tout en essayant de ramener avec les doigts les «bún» rebelles qui s'étirent sur la table entre l'assiette et le bol, en évitant que l'ensemble du contenu de l'assiette ne suivent les récalcitrants… Nous sommes loin de l'art de la table le plus distingué ! Certains ont résolu la difficulté à grands coups de ciseaux dans l'assiette de «bún». Pas très orthodoxe, mais efficace pour le transport d'un récipient à l'autre. Reste que l'épreuve n'est pas finie !

Le "bún nem", vermicelle au rouleau impérial.

En effet, sauf à ingurgiter un tas de «bún» collants, la plupart du temps, le «bún» est soit recouvert d'une sauce, soit plongé dans un bouillon. Il faut alors passer à une autre phase : faire passer le «bún» du bol à la bouche. Et là, le «bún» montre bien sa duplicité.

En effet, alors qu'il était aussi collant qu'un papier tue-mouches, par la grâce de sa plongée dans un liquide il devient aussi insaisissable qu'une anguille ! Alors qu'on cherche à le coincer, il prend un malin plaisir à nous échapper, glissant pour mieux retomber dans le bol à grandes éclaboussures, nous filant entre les baguettes pour s'esquiver au moment où nous sommes prêts à l'accueillir bouche grande ouverte. Les plus adroits arrivent à l'enrouler autour de leurs baguettes, et même à le mettre dans une cuillère pour le transformer en une bouchée civilisée, mais la plupart du temps le meilleur moyen est de raccourcir le chemin entre bol et bouche, en se penchant le plus possible et d'un mouvement preste pousser hors du jeu les «bún» que l'on aspire longuement jusqu'à complète ingestion. Toujours pas très élégant, mais efficace ! Et quel bonheur gustatif quand à la fin de la rencontre on en sort gagnant.

Comme quoi, il faut gagner son pain, ou plutôt son «bún», à la sueur de son front !

Gérard BONNAFONT/CVN

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