Lune de fête

Pour beaucoup de pays, septembre rime avec rentrée des classes et début de l'automne. Place aux heures studieuses après les moments d'insouciance... Mais comme pour se donner du courage, voilà que déjà le Vietnam s'offre une nouvelle fête.

 

Surtout ne pas prendre les vessies pour des lanternes. Photo : Minh Quyêt/VNA/CVN


Depuis plus d'un mois, l'or et le rouge sont à l'honneur dans les rues des grandes villes. Poussant comme des champignons, des kiosques aux couleurs du bonheur et de la prospérité masquent vitrines et façades. Derrière des étalages croulant sous les coffrets-cadeaux, d'accortes vendeuses sont prêtes à emballer les gâteaux qui emballeront petits et grands. Les tiroirs-caisses des magasins de jouets se préparent à d'incessants va-et-vient pour la plus grande joie de leurs propriétaires. Dans le Vieux Quartier de Hanoi, la rue Hàng Ma resplendit de toutes les lanternes qu'elle prépare pour les défilés des enfants... L'automne peut bien s'installer, les Vietnamiens feront la fête !
Tête en l'air
Pourquoi une telle frénésie ? Tout commence, comme bien souvent ici, par une tradition pastorale. La Fête de la mi-automne ou Fête de la lune, également appelée 15 août ou “Têt Trung Thu”, est célébrée le soir du 15e jour du 8e mois lunaire. Selon les anciens, l’automne est la saison où prédomine le principe femelle de la lune (Ying), par opposition au printemps où c’est le soleil, principe mâle (Yang), qui domine. Pendant l’automne, le ciel est clair et l’air est pur. Enfin, en théorie, parce qu'en pratique, ces derniers temps, le ciel était plutôt sombre et l'air plutôt humide !
Mais, les paysans, profitant de cette clémence météorologique, examinent la lune pour savoir si la moisson sera bonne ou non. Brillante, bonne récolte ; jaune, paix et bonheur ; verte, famine ; traînées noires, guerre. Heureusement, depuis que je suis ici, quand j’observe l’astre des nuits, je le vois toujours jaune et brillant, et je ne bois pas assez de bière pour le voir vert, strié de noir ! Tant mieux, parce que cela me permet d’apprécier sans modération la Fête de la mi-automne, qui est aussi la fête des enfants…
Mais pour profiter au mieux de cette journée, encore faut-il que je satisfasse aux épreuves préliminaires, véritable parcours du combattant dont je vous donne le programme : participer à la confection familiale des "bánh dẻo" (gâteau de lune gluant de pâte de riz sucrée), fabriquer des "đèn kéo quân" (lanterne à ombres mobiles) et des masques en forme d'animaux, choisir les jouets conformes aux rêves de ma fille. Cette dernière épreuve, somme toute, est assez simple à accomplir. En effet, grâce au professionnalisme de ses institutrices, ma fille est passée du stade d'analphabète à celui de rédactrice. Et cette année, elle a glissé sous la porte de mon bureau une enveloppe rouge contenant la liste des jouets qu'elle souhaite ajouter à l'amas qui jonche un coin de sa chambre ! Il ne me reste plus qu'à me lever aux aurores pour éviter de me faire écraser à l'entrée des boutiques de jouets de la rue Luong Van Can, entre les parents empressés, les motos pressées et les voitures impatientes...
On s'y colle
La confection des "bánh dẻo" est plus redoutable ! La préparation, elle-même, est un jeu d'enfant. Il suffit d'avoir dans son armoire de cuisine ces moules en bois ou en métal dans lesquels sont gravés des motifs divers : fleurs, dragons, caractères chinois..., qui promettent bonheur, santé, prospérité. De ce côté-là, pas de problème : mon épouse conserve précieusement des moules au bois culotté au fil des ans, garantie de bons et loyaux services. Il suffit d'y tasser la pâte faite de farine et de riz gluant. Auparavant, cette pâte, il faut la cuire et la farcir de plein de fruits confits, graines de lotus, amandes, sésame, etc... Face à mon incapacité culinaire notoire, depuis longtemps déjà, on ne me confie que la dernière étape : mouler les gâteaux. Mais qui n'a jamais manipulé de pâte au riz gluant ne peut comprendre l'énervement qui me gagne à tenter de bourrer les moules d'une substance visqueuse qui me colle aux doigts. Surtout ne pas me gratter le nez ou un quelconque espace de mon corps, sous peine d'être transformé en papier tue-mouches ! Quand les gâteaux sont au four et que je me suis désenglué, il est temps de passer le test final.
Fabriquer une "đèn kéo quân" peut sembler facile. En effet, quoi de plus simple que de faire un cylindre en papier transparent et d'y coller des formes découpées sombres... Puis trouver un astucieux arrangement de fil de fer pour pouvoir insérer une bougie à l'intérieur, et enfin fixer l'ensemble au bout d'une tige de bambou. C'est au moment d'éclairer la lanterne que tout se complique ! Combien ai-je dû éteindre de débuts d'incendie, alors que ma fille hurle en tenant à bout de bambou une magnifique lanterne transformée en comète incandescente ? Combien ai-je vu de longues heures de travail finir en cendres sur le sol ? Combien de fois ai-je maudit Prométhée qui aurais mieux fait de rester au lit le jour où il a volé le feu de Jupiter ?
Ça y est, le grand jour est arrivé... Les femmes de la maisonnée ont installé une pyramide de "bánh dẻo" et de "bánh nướng" (gâteau farci cuit au four) sur la table du salon. Ma fille porte fièrement une lanterne de papier rouge, doublée à l'intérieur de papier aluminium ménager, et dans laquelle j'ai découpé un dragon qui vole gueule ouverte en direction d'une lune toute ronde. Bon, c'est vrai, ça ressemble plus à une savate à la semelle éclatée qui joue au football, mais l'intention y est, et ma fille, sous son masque de tête d'éléphant qui lui donne l'air d'une grosse limule, n'y voit que du... feu ! Elle a déjà rejoint les autres enfants qui vont faire le tour du pâté de maison.
Tandis que sous les rires et les cris de joie, le défilé s'organise en un joyeux chaos, je m'installe devant ma maison. Là, les doigts pleins de riz gluant et de suie, je serre la main de tous mes voisins qui viennent souhaiter au Tây (Occidental) et à sa famille bonheur et prospérité. Et ce soir, toute la famille montera sur la terrasse pour contempler la pleine lune, en espérant la voir jaune et brillante.
Ici, on sait vraiment faire la fête !

Gérard BONNAFONT/CVN

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