En roue libre

Au fil des années, le nombre de touristes attirés par le Vietnam augmente. Et, selon la loi du marché, plus il y a de touristes, plus il y a d'agences de voyages. Et plus il y a de concurrence, plus il faut sortir des sentiers battus, quitte à transformer les routes buissonnières en autoroutes à touristes. Nostalgie...

Il suffit de faire une promenade virtuelle sur le Net pour trouver une multitude de vitrines qui proposent en terme alléchant un voyage pas comme les autres pour ceux qui veulent visiter le Vietnam. Et parmi ces placards publicitaires de l'exotisme inédit, la palme revient aux circuits en moto... Transportés, accompagnés, seuls, tout est disponible pour découvrir le pays, nez au vent et tête en l'air.

En cet été 2013, chacun peut se prendre pour un aventurier des grands espaces et se transformer, le temps d'un séjour, en motocycliste décontracté (traduction libre d'une expression anglaise que je vous laisse retrouver...). Quitte à ne devenir qu'un touriste parmi d'autres sur des routes encombrées de motards solitaires !

Route déroutante...

Dans cette voiture qui m'emmène sur la route Hô Chí Minh, je me souviens de cette grande traversée du Nord au Sud que je fis avec mon inséparable ami Tuân il y a déjà six ans. À l'époque, cela relevait de l'exploit ! À la rigueur quelques mordus du bitume s'offraient les services d'une vieille Minsk pour monter à l'assaut de rares routes montagnardes, mais parcourir 2.300 km à travers le Vietnam était du domaine de l'impensable. Nous avions alors toute la route à nous, avec ses rencontres, ses aléas, ses dangers, ses imprévus. Et loin des pétarades actuelles qui envahissent ces lieux jadis vierges de toute intrusion moto-touristique, je ne résiste pas au plaisir de vous emmener faire un retour sur le passé.

Prêts à avaler la route !

Nous sommes le 26 juillet 2007. Sur la route 14B qui relie Hôi An (province de Quang Nam, Centre) à la route Hô Chí Minh, nos motos alignent allègrement les bornes. Pas question de se laisser griser par le vent qui nous chatouille les naseaux ! En effet, alors que dans quelques heures nous serons seuls sur la route, le trafic est intense. Bien souvent, nous sommes avertis par un klaxon impératif et tonitruant de l'arrivée des bus, camions et autres voitures, mais parfois nous sommes surpris au dernier moment, lorsqu'ils nous doublent en nous frôlant sans prévenir. L'œil sur le rétroviseur gauche, la main légère sur la poignée des gaz, nous rasons les bas-côtés, prêts à nous y réfugier au cas où il nous faudrait choisir entre la route ou la vie ! L'attention que nous devons porter à la circulation nous empêche d'apprécier à sa juste valeur la beauté d'un paysage qui devient de plus en plus sauvage : les rizières laissant progressivement la place à une végétation plus tropicale.

Après Tân An, nous franchissons le Thu Bôn qui fera tant de dégât 15 jours plus tard lors de la tempête tropicale d'août ! Pour le moment, il est calme et s'écoule paresseusement entre les deux rives de sable blanc, bordées d'arbres qui se mirent dans son eau. La route devient à la fois plus calme et plus sinueuse. Elle part à l'assaut des hauts plateaux, en serpentant dans une jungle de plus en plus dense, laissant apparaître de-ci de-là quelques espaces où les paysans pratiquent la culture de riz et de maïs sur brûlis.

Les villages se raréfient, et brusquement une inquiétude nous étreint : n'aurions-nous pas été trop optimistes sur la question de l'essence ? En effet, la rareté des habitations étant proportionnelle à l'insuffisance de postes à essence, la pénurie nous guette ! À chaque virage, nos regards scrutent l'horizon pour tenter d'apercevoir la pompe salvatrice qui nous éviterait la honte absolue : la panne d'essence en rase campagne, à 900 km de Hanoi. Enfin, après une demi-heure de suée, pas seulement due à la chaleur, nous découvrons, au détour d'un petit col, la plus belle, la plus merveilleuse, la plus splendide des pompes à essence que j'ai connu ! Elle ne paie pas de mine avec son petit bonnet pointu, cette modeste pompe à main, mais elle offre à nos réservoirs éperdus de reconnaissance le liquide verdâtre qui nous évitera de sombrer dans le ridicule. Et qu'importe que le prix soit deux fois plus élevé que d’habitude !

Route insouciante...

Nous repartons le cœur léger, mais bien décidés à refaire le plein à la première occasion… qui se présentera 150 km plus loin. En attendant, arrivés à Khâm Duc, nous virons plein Sud sur la route Hô Chí Minh...

Pendant plus de cinq heures, Tuân et moi serons presque seuls sur cette route, croisant plus de bœufs et de chèvres que de motos ou de camions ! Kon Tum est l’une des cinq provinces des hauts plateaux du Centre. La piste, qui est aujourd'hui une belle route en béton, ondule entre monts et vallons, au milieu d'un paysage d'une extraordinaire beauté. La jungle épaisse et sombre s'étend jusqu'au bord de la route. Le lit bleuté des torrents perce de temps à autre la muraille végétale, et c'est un véritable plaisir de s'arrêter au pied d'une cascade pour se rafraîchir le visage… et humidifier nos casques.

Le long de la route, quelques maisons typiques des minorités ethniques locales apportent une note pittoresque. Les plus spectaculaires sont les maisons communales des Ba Na qui surplombent les hameaux de leurs toits majestueux. Nous apercevons quelques rares villages en contrebas de la piste et, une fois ou deux, nous quittons la route pour y pénétrer. Manifestement, les habitants n'ont pas l'habitude de voir des étrangers, et je ne parle pas que de moi. Ici, Tuân, avec sa moto immatriculée à Hanoi, fait autant allochtone (oui, ça existe en français ce mot) que moi ! Les enfants se précipitent dans les bras des mères qui restent prudemment sur le pas de leurs maisons en bois, et quelques hommes qui ne sont pas aux travaux des champs nous saluent aimablement, mais nous ne nous attardons pas. Nous sommes maintenant sur le plateau de Kon Tum et nous voyons défiler Dak Tô et ses plantations de théiers, Dak Hà et ses plantations de caféiers, et enfin les immenses plantations d'hévéas qui annoncent Kon Tum.

Retour en 2013 ! Sur cette même route, nous doublons ou croisons des dizaines de motos, dont les pilotes n'ont pas à se préoccuper de la contenance de leur réservoir, rassurés par les nombreuses stations d'essence qui ont poussé sur les bas-côtés depuis six ans. Le danger vient plutôt de néophytes qui n'ayant jamais conduit de motos de leur vie s'élancent imprudemment sur cette route, sans se soucier de se protéger du soleil, ni de vérifier l'état de leur harnachement. Nous devons nous arrêter pour faire stopper en urgence des motos dont les brides de leurs bagages volent au ras de leurs rayons de roue, au risque de les entraîner dans un magistral soleil qui brûlerait définitivement leurs ailes et leur velléité de "faire la route". En outre, leur peau virant au rouge ardent laisse présager des lendemains cuisants qui risquent de réduire considérablement leur plaisir d'évasion. «Sortez-couvert» n'est pas un simple slogan quand on veut faire de la moto au Vietnam...

Nous avons assez roulé pour aujourd'hui. Il est temps de faire halte pour la nuit. Digne d'intérêt cette halte ! Je vous en parle la semaine prochaine...

Gérard Bonnafont/CVN

Rédactrice en chef : Nguyễn Hồng Nga

Adresse : 79, rue Ly Thuong Kiêt, Hanoï, Vietnam.

Permis de publication : 25/GP-BTTTT

Tél : (+84) 24 38 25 20 96

E-mail : courrier@vnanet.vn, courrier.cvn@gmail.com

back to top