L’octogénaire vendeuse de café et polyglotte

Au détour d’un petit carrefour de Hô Chi Minh-Ville, les touristes étrangers peuvent réaliser une des rencontres les plus surprenantes. Une vendeuse de café, octogénaire, converse à la fois en anglais, français, chinois et cambodgien. Une tranche de vie sous le signe de l’Histoire.

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Mme Ba dans sa boutique. Photo : DSPL/CVN

Comme d’habitude, à 06h00 du matin, Mme Ba, 87 ans, ouvre sa boutique de café arrangée avec discrétion au bord du carrefour de Pham Ngu Lao-Trân Hung Dao, dans le 1er arrondissement de Hô Chi Minh-Ville. Dos courbé, cheveux blancs, elle dispose ses tabourets plastiques, la petite armoire vitrine dans laquelle sont rangés des verres, des thermos, des glaces, du café et du thé. À cela s’ajoute un grand parapluie, «au cas où», et qui déployé occupe un espace large d’à peine de quelques mètres carrés, suffisants pour une journée de travail.

En voyant une touriste occidentale passer devant, elle la salue, en anglais. Mais la femme lui répond en français. Très rapidement, elle improvise dans la langue de Molière. La femme s’arrête, et fait une halte. Édentée, la prononciation est sans doute loin d’être la plus parfaite, mais la Française arrive à la comprendre, et hoche plusieurs fois de la tête. Le café glacé terminé, la vieille dame et la touriste se disent au revoir. Et cette dernière lui lance un regard plein d’admiration.

Tenancière d’un café depuis 30 ans

Mme Ba, de son vrai nom Trân Thi Dinh, vend du café et du thé au bord de la rue depuis une trentaine d’années. Chaque jour, quel que soit le temps, elle ouvre sa boutique dès l’aube. La boutique attire les jeunes et particulièrement les touristes étrangers. Invités dans leurs langues maternelles, il leur est difficile de résister à la patronne. «Je vends du café, du thé vert, glacés ou chauds et aussi de l’eau. Le plus important pour moi, ce n’est pas tant de travailler pour gagner de l’argent, mais de rencontrer des gens tout en pratiquant les langues étrangères avec les touristes», explique-t-elle.

«Une fois, je l’ai vu parler longuement en chinois avec un groupe de touristes. Après lui avoir demandé le chemin pour le marché de Bên Thành, ces touristes l’ont quitté sans boire du café, ni acheter de l’eau. Cependant, Mme Ba s’était montrée ravie de la rencontre», partage Hang, une marchande ambulante de fruits à proximité de la boutique. Interrogée sur ses compétences, Mme Ba avoue : «Je peux parler anglais, chinois, français et cambodgien. En revanche, je ne sais pas lire et écrire dans ces langues, et mon vocabulaire concerne uniquement la vie quotidienne».

Mais son talent suffit à surprendre bon nombre de touristes de passage. «Je suis vraiment impressionné de rencontrer cette vielle dame. C’est intéressant de converser avec elle, et nous avons pu longuement bavarder», s’enthousiasme Alex Webb, un touriste britannique.

Des touristes étrangers ravis de leur rencontre avec Mme Ba.
Photo : Vnexpress/CVN

Autodidacte par la force de l’Histoire

Concernant l’anglais et le français, Mme Ba révèle que pendant sa jeunesse, elle avait travaillé dans des salons de coiffure fréquentés par les Françaises et Américaines à Saigon. «À cette époque-là, je rencontrais quotidiennement ces femmes. Au début, je ne comprenais rien des conversations entre elles. Mais au fur et à mesure, elles m’ont appris à parler la langue, et j’ai pu la pratiquer couramment avec elles par la suite».

Son père lui avait enseigné le chinois, une langue qu’il maîtrisait pour des raisons professionnelles. Elle a aussi a appris le cambodgien en vivant dans les régions frontalières entre les deux pays dans la province de Tây Ninh (Sud). «J’ai vécu de nombreuses difficultés au cours de ma vie. J’ai énormément déménagé, et changé très souvent de travail. Mais c’est grâce à ces événements bouleversants que j’ai acquis ces langues étrangères».

Au sujet de sa famille, elle confie que son mari est décédé il y a six ans, et que ses enfants vivent dans de meilleures conditions. Une de ses filles se trouve même à l’étranger. «J’ai une vie confortable. Une de mes petites-filles se prépare à achever son doctorat. Je suis entourée de mes enfants qui viennent me voir souvent. Bien qu’ils me conseillent de rester à la maison pour me reposer, je veux travailler comme vendeuse de café dans ce petit coin en vue de pouvoir rencontrer chaque jour les gens. Sinon ma vie sera triste», conclut-elle.

Linh Thao/CVN

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