Livraison à domicile

Remue-ménage dans ma ruelle dès potron-minet. Mes voisins ont vendu leur maison et changent de domicile. Ici, même un déménagement est pour moi source d’étonnement.

Depuis que j’habite au Vietnam, j’ai déjà connu plusieurs adresses : hôtel, maison meublée, maison à meubler et autres déclinaisons. Exception dans un pays sédentaire où quitter sa maison est un cas exceptionnel. En effet, le Vietnamien est viscéralement attaché à sa maison natale et, autrefois, on ne la quittait que pour cause de mariage ou de décès. Même si, avec l’exode rural, on change plus souvent de domicile, le déménagement reste rare. Ce qui en fait parfois une journée mémorable. Au moins pour moi !

Transport privé

À chaque déménagement, je laissais mes meubles derrière moi, et rachetais tout ce qu’il fallait pour mon nouvel intérieur. Mais, la dernière fois, par attachement personnel et par sens de l’économie de mon épouse, les meubles nous ont suivis. L’affaire me paraissait facile, habitué que j’étais, dans mon pays d’origine, à utiliser les services de sociétés de déménagement.

D’ailleurs, depuis quelques jours, je faisais le siège de mon épouse, autoproclamée responsable des opérations, pour qu’elle s’enquière d’une société du même type à Hanoi. Face à mon insistance, elle opposait une grande sérénité, me signalant avec le sourire que je n’avais à m’occuper de rien et que tout irait bien. Je soulignais néanmoins que je n’avais pas envie de m’éreinter à porter réfrigérateur et matelas, et que je souhaitais la participation active de plusieurs bras solides, dussé-je les payer confortablement. Mon inquiétude semblait l’attrister. Comment, elle, épouse attentive, aurait-elle pu seulement un instant envisager que son mari ait à se fatiguer inutilement ? Devant cette tranquille assurance, je ne pouvais qu’attendre, mi-rassuré, mi-inquiet, le jour fatidique où mes pénates changeraient de lieu. Et aujourd’hui, nous y sommes.

Déjà, hier soir, j’ai eu l’occasion d’assister à une époustouflante démonstration d’efficacité. En l’espace du temps que j’ai mis pour emballer papiers et livres personnels, ma moitié a fait le triple de travail, en casant dans quelques valises et cartons trousseau, vaisselle, bibelots et autres souvenirs de famille. Question d’organisation ! Quand l’un trie, réfléchit longuement sur l’utilité ou non de conserver ceci ou cela, essaie de trouver la disposition la plus rationnelle pour optimiser l’espace, l’autre entasse, empile, bourre les interstices, équilibre de façon empirique, avec pour seule préoccupation : en mettre le plus possible tant que ça tient. Il n’est que de constater ce que peuvent transporter les motos pour comprendre cette façon de faire.

Ce matin, ballots ventrus, valises rebondies, et cartons pleins à craquer, nous attendons l’arrivée du camion de déménagement auquel ma femme a téléphoné la veille. Je m’attends à voir arriver un semi-remorque dont les flancs rutilants porteront fièrement la marque de la compagnie qui transportera nos meubles. D’ailleurs, depuis une heure, transformé en agent de la circulation, je fais le vide devant ma porte, chassant motos et vélos, pour faire de la place au vaisseau de la route. Je m’apprête d’ailleurs à demander poliment au chauffeur d’un camion brinquebalant de consentir à bien vouloir se garer plus loin. À peine me suis-je approché de lui que ma femme me rejoint et, avant que j’ai pu ouvrir la bouche, lui enjoint de se rapprocher davantage de notre porte d’entrée. L’aurais-je voulu que sous l’effet de la surprise, je n’aurais pu prononcer un mot ! Comment ?

Question transport fragile, ça déménage !

C’est à cette espèce de véhicule à moitié rongé par la rouille, dont la plate-forme à claire-voie laisse apparaître des tâches suspectes, preuves d’autres transports incertains, que nous allons confier nos précieux biens ? Pire, je ne vois aucune bâche, aucune couverture. Ce qui signifie que notre intérieur va voyager à l’extérieur, que notre intimité va être exposée à ciel ouvert, aux yeux de tous les Hanoïens. Vacillant entre honte et inquiétude, je ne peux que me résoudre à l’inévitable : ici, on déménage comme on vit, sans intimité. Mais le pire reste à venir.

Chargement public

Résigné quant au mode de transport, j’attends l’arrivée des deux ou trois autres personnes qui doivent aider le chauffeur à transbahuter notre mobilier. Déjà surpris de ne pas les avoir vus dans le camion, je demande à ma femme combien de personnes sont prévues. Et là, le ciel me tombe sur la tête : il n’y aura personne d’autre. En titubant, je m’assois sur le premier siège venu (une valise en l’occurrence). J’observe du coin de l’œil la carrure du chauffeur qui n’a rien de celle d’un déménageur. Je calcule mentalement le poids total des appareils électroménagers, meubles et cartons que nous allons devoir transporter, et suppute déjà le tonnage que je vais avoir à manipuler durant cette journée, qui devient soudain la pire de ma vie.

Au plus profond de cette détresse, j’accueille d’un vague «Xin chào !» (Bonjour), mes deux voisins qui viennent d’entrer. Pour nous saluer, pensé-je ! C’était compter sans la solidarité inébranlable des Vietnamiens. En un clin d’œil, ces deux sympathiques collatéraux grimpent au premier étage et s’empressent de désosser l’armoire de la chambre conjugale. En fait, le terme est impropre. Ici, on ne démonte pas les meubles, on les démantibule. Question d’efficacité une fois encore. On tire, on pousse, on extrait au mépris des règles de la physique qui définit une fois pour toute qu’une vis se dévisse et qu’un clou se décloue.

En l’espace de quelques minutes, à coup de marteau, mon armoire perd ses parois, ses portes et ses étagères, et gît à mes pieds, en empilement informe. Qu’importe que certaines vis aient été forcées, faisant éclater le bois, que des tenons et des pièces de blocage aient giclés un peu partout. Mes aimables voisins sont là pour démonter, alors ils démontent. Le remontage, ce n’est pas eux, donc. Il est midi. En moins de deux heures, notre maison a été vidée, reste maintenant à remplir la nouvelle.

Assis à côté du chauffeur, je ne peux que serrer les dents et prier mon Génie du Foyer, à chaque coup de frein intempestif, chaque dos d’âne, chaque cahot, pour espérer que notre chargement conserve son intégrité. Mon Génie doit être de bonne composition, car nous arrivons sans encombre dans ma nouvelle rue.

Mon soulagement est de courte durée, car je me rends compte qu’ici, il n’y a plus mes redoutables, mais efficaces voisins pour nous aider. J’aurais dû me douter que mon épouse avait la solution.

À peine suis-je descendu du camion que ma femme, qui nous avait précédés en moto, nous rejoint, accompagnée d’une dame, recrutée sur le champ, alors qu’elle passait en vélo dans l’espoir de vendre quelques pains. De vendeuse ambulante, la voilà promue déménageuse ! Est-ce la peine que je décrive, une fois encore, mon étonnement devant l’énergie, la pugnacité, le courage, la force, dont peut faire preuve ce peuple avec lequel je vis ?! Chauffeur et employée occasionnelle représentent à eux deux un gabarit à peine égal au mien, et pourtant, en deux heures, ils auront transporté trois fois plus de poids que moi !!!

Pendant ce temps, notre chauffeur s’attelle allègrement à la reconstitution de notre armoire, tandis que notre déménageuse occasionnelle entreprend de nettoyer à fond les 120 m² de notre nouveau foyer. Si cette seconde opération se déroule sans anicroche, le remontage de l’armoire est un morceau de bravoure qui restera dans les annales du bricolage! Le marteau joue ici un rôle essentiel qu’il y ait ou non des vis. Finalement, l’armoire est remontée. Les portes ne ferment plus, il manque une étagère, et quelques vis et tenons «inutiles» gisent sur le sol. Mais ça ne semble troubler personne, hormis moi.

Pourquoi s’inquiéter ? Après tout, nous avons déménagé. C’est l’essentiel !

Texte et photo : Gérard BONNAFONT/CVN

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