Avant cette anthologie, l'année 1947 avait vu la parution de 2 anthologies mettant en valeur l'émergence de nouveaux auteurs francophones issus de l'empire colonial. Il s'agit de Poètes d'Expression française 1900-1945 par Léon-Gontran Damas et de Les plus beaux écrits de l'Union Française et du Maghreb par Mohamed El Kholti, Léopold Sédar Senghor, Pierre Do Dinh, Rakoto Ratsimamanga et Ralajmihiatra (pour respectivement le Maghreb, l'Afrique subsaharienne, l'Indochine et Madagascar).
Grâce à l'Anthologie de la poésie nègre et malgache de Senghor, pour la première fois, en 1948, les intellectuels français et du monde entier découvraient avec stupéfaction une nouvelle écriture de poètes nègres et malgaches utilisant la langue française pour véhiculer une vision nègre du monde s'inscrivant dans un "racisme anti-raciste" (Jean-Paul Sartre) ou dans une "Sainte révolte" (René Maran).
Seize poètes noirs originaires de différentes régions de l'empire colonial français figuraient dans cette anthologie-manifeste du mouvement littéraire de la négritude : le Guyanais Léon-Gontran Damas (1912-1978) ; les Martiniquais Gilbert Gratiant (1901-1985), Etienne Léro (1909-1939), et Aimé Césaire (1913-2008) ; les Guadeloupéens Guy Tirolien (1917-1988) et Paul Niger (1917-1962) ; les Haïtiens Léon Laleau (1892-1979), Jacques Roumain (1907-1944), Jean-Fernand Brière (1909-1992), et René Bélance (1915-2004) ; les Sénégalais Birago Diop (1906-1989), Léopold Sédar Senghor (1906-2001) et David Diop (1927-1960) ; et les Malgaches Jean-Joseph Rabéarivelo (1901-1937), Jacques Rabémananjara (1913-2005) et Flavien Ranaivo (1914-1999). Par la suite, ils ont été rejoints par les poètes de la négritude de la génération des années 50 à savoir l'Ivoirien Bernard Dadié, le Congolais Martial Sinda, le Guinéen Keïta Fodéba, le Camerounais Elongué Epanya Yondo, le Dahoméen Paulin Joachim, le Sénégalais Lamine Diakhaté et quelques autres. Chacun de ces poètes apportaient leurs particularités régionales nègres au sein du grand mouvement littéraire de la négritude parisienne qui commence en 1921 avec Batouala, véritable roman nègre de René Maran et s'achève en 1960 avec les indépendances africaine et malgache.
L'anthologie-manifeste de la négritude eut un grand retentissement car sa parution concordait avec la commémoration du centenaire de l'abolition définitive de l'esclavage en France. Pour marquer cet événement national d'un sceau indélébile, Vincent Auriol, le Président de la République de l'époque fait transférer au Panthéon à la fois les cendres de Victor Schœlcher, le père de l'abolition de l'esclavage français, et celles d'un descendant d'esclave africain, le grand résistant guyanais Félix Éboué. Ce dernier fut un ardent défenseur de la France Libre au moment où la liberté française était bafouée par l'Allemagne nazie. En sa qualité de gouverneur de l'Oubangui Chari (Centrafrique), Éboué œuvre pour permettre au général de Gaulle de prendre pied à Brazzaville de manière à en faire la capitale de la France libre.
De plus, le prestige de l'Anthologie-manifeste de la négritude vient aussi du fait qu'elle fut parrainée par l'éminent Professeur d'université Charles-André Julien et par le maître à penser de toute une génération de l'après-guerre, Jean-Paul Sartre.
Soixante ans plus tard, il nous reste de beaux poèmes nègres et malgaches marqués par le temps, un patrimoine littéraire, que nous devons découvrir ou redécouvrir avant de le léguer à nos enfants, car un homme sans mémoire est un homme sans chemin.
Thierry Sinda
Francophonie Actualités,