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Des élèves sont assis derrière leur bureau le jour de la rentrée à l'école publique de Tabarre, dans la banlieue de Port-au-Prince, le 5 septembre. |
Photo : AFP/VNA/CVN |
"Les frais d'inscription ici sont minimes, 100 gourdes (1,50 dollar) mais le problème c'est tout le reste : les livres, les cahiers...", explique la femme de 33 ans. "S'ils n'ont rien de ça, ça ne sert à rien qu'ils aillent à l'école: ils ne pourront pas bien apprendre".
Au lever du drapeau national qui ouvre chaque journée de cours, le directeur de l'école publique de Tabarre se désole devant les rangs clairsemés.
"Je m'attendais à ce que beaucoup d'enfants ne viennent pas ce matin. Nous devrions avoir 600 élèves mais ils ne sont qu'une petite centaine", constate Lucien Jean-François.
"Les parents se plaignent et moi aussi : je n'ai rien reçu pour faire fonctionner l'école, pas même un bâton de craie", regrette le directeur en poste depuis 18 ans. "Même ce drapeau qu'on vient de monter, c'est de ma poche que j'ai retiré l'argent pour l'acheter. Je prends mes responsabilités, sans l’État", souligne-t-il.
Le ministère de l’Éducation a fixé au 5 septembre la rentrée pour tous les établissements scolaires mais, dans cette école primaire et secondaire, pas même la moitié des 17 salles de classe est occupée.
"C'est la première année que je vois si peu d'élèves dans la rue mais les parents n'étaient pas prêts pour cette rentrée", confie étonnée Nadine Belle Duvivier, professeure depuis 1998.
Devant l'enseignante, seuls 16 enfants ont pris place sur les bancs offerts il y a 5 ans par l'Unicef. Rares sont ceux en uniforme. Aucun n'a pu apporter un manuel scolaire.
"Quelques livres sont bien subventionnés mais ils restent trop chers pour les parents donc ils achètent le plus souvent des photocopies", explique Nadine Belle Duvivier. "Le problème est que la qualité de ces copies est très mauvaise, du coup les enfants n'arrivent pas à lire un mot", témoigne-t-elle.
"C'est leur futur qu'on hypothèque"
Cette précarité complique fortement le travail des enseignants dont le salaire n'a pas été revalorisé alors que l'inflation a dépassé les 15% au cours de l'année écoulée.
Une institutrice parle à ses élèves le jour de la rentrée à l'école publique de Tabarre, dans la banlieue de Port-au-Prince, le 5 septembre. |
Photo : AFP/VNA/CVN |
"Aujourd'hui un enseignant gagne environ 12.000 ou 13.000 gourdes par mois (180 à 200 dollars) : cette rémunération ne permet absolument pas de répondre aux exigences de la vie en Haïti", s'énerve Lucien Jean-François.
Le directeur s'estime tout de même chanceux car les enseignants de son école n'accusent pas d'arriérés de salaires de plusieurs mois voire d'années comme certains de leurs collègues.
"Nous avons des problèmes de ressources et le gouvernement a hérité de beaucoup de dettes", souligne Yves Romain Bastien, le ministre de l’Économie.
"Avec le ministre de l’Éducation, nous allons mettre en place un système pour payer ces gens au plus tôt", explique le ministre.
"On a pris la décision ultime d'octroyer à 100.000 familles une bourse de 5.000 gourdes (78 dollars). On a projeté aussi des travaux à haute intensité de main d'œuvre pour que les familles puissent disposer de quelques ressources", poursuit-il.
Si les parents rencontrés dans la cour de l'école de Tabarre ont eu vent de ces programmes d'urgence, aucun n'a perçu d'aide publique pour financer la rentrée de leurs enfants.
Même si elle avait reçu l'une de ces bourses, Elimène Benjamin, qui survit de petits travaux ménagers confiés par ses voisins, ne pourrait toujours pas scolariser ses quatre enfants. "Un seul uniforme peut coûter 3.000 gourdes (45 dollars) et je n'arrive déjà pas toujours à gagner suffisamment pour acheter à manger chaque jour", regrette-t-elle.
Fini le temps où l'école de Tabarre pouvait offrir un repas chaud à chacun de ses élèves: depuis trois ans, l'établissement ne bénéficie plus de cette aide du Programme alimentaire mondial (PAM).
"C'est un gros problème car beaucoup d'enfants arrivent le matin sans rien avoir mangé", avoue Lucien Jean-François. "Dans la journée, ils se plaignent évidemment de maux de ventre et ne peuvent pas se concentrer. C'est leur futur qu'on hypothèque".