>>Les fleurs dans la culture du Vietnam
L'octogénaire Pham Thi Thu soigne ses fleurs. |
Autrefois, à l’occasion des 1er, 15e jours du mois lunaire et lors du Têt traditionnel, les femmes Hanoïennes posaient sur l’autel des ancêtres des fleurs parfumées et colorées. Il s’agit des ngoc lan (Magnolia × alba), hoa ngâu (Aglaia odorata), hoàng lan (ylang-ylang), des soucis, des pivoines rouges et blanches, du jasmin, etc. Les fleurs étaient placées et emballées dans une feuille de bananier ou de dong (Phrynium placentarium) ou encore de lotus.
Rue Hàng Khoai, dans le Vieux quartier de Hanoï, existe un petit stand niché modestement à côté d’autres magasins scintillants. Il est composé simplement de quelques objets rudimentaires et de paniers en bambou ternis par le temps. C’est dans ce petit coin de rue que l’octogénaire Pham Thi Thu a passé plus de 70 années à emballer et vendre des paquets de fleurs au service du culte.
Puisant dans sa mémoire, Mme Thu évoque l’image de son enfance où, à l’âge de 13 ans, elle portait sur sa tête un panier de fleurs à vendre dans toutes les rues de la capitale. Avec le temps, elle s’est fixée au 21, rue Hàng Khoai. Les autres vendeuses du même âge qu’elle ont déjà quitté ce monde. Ainsi, elle est la dernière représentante de cette longue histoire de vente de fleurs parfumées et le seul témoin précieux de l’évolution sur soixante-dix ans de cette tradition.
"Autrefois, au lieu de mettre les fleurs en vases, les femmes les agençaient selon plusieurs catégories, celles ayant une odeur douce, celles ayant des couleurs vives et elles étaient empaquetées dans des feuilles, puis vendues sur le marché pour les rituels familiaux", raconte Mme Thu en ouvrant le paquet, d’où un parfum suave se dégage. "Chaque jour, je vendais entre 300 et 400 paquets. Les fleurs venaient de Son Tây, Ba La, Soc Son… (en banlieue de Hanoï, ndlr)", ajoute-t-elle.
Chaque petit paquet doit avoir de cinq à sept variétés de fleurs. |
À l’approche du Nouvel An lunaire, les besoins augmentant, plusieurs espèces s’ajoutaient à la carte de ses produits. Chaque petit paquet devait avoir de cinq à sept catégories, pour les plus grands, de 10 à 12, dépendant à la demande de la clientèle.
"Le matin du 1er jour du 1er mois lunaire, je posais une assiette de fleurs sur l’autel, je brûlais un bâton d’encens pour rendre hommage à mes ancêtres, le parfum des fleurs s’alliait à l’odeur des bâtons d’encens pour se répandre partout et réchauffer la fraîcheur du printemps naissant", se rappelle Mme Thu. "Maintenant, bien que tout change et que de nombreuses fleurs exotiques apparaissent, je conserve toutefois l’assiette de fleurs pour conserver ce trait culturel des Hanoïens", souligne-t-elle.
Au milieu d’une multitude des fleurs modernes et exotiques, les paquets de fleurs de cette Hanoïenne disposent d’un charme propre. Les clients de Mme Thu disent que ses fleurs leur apportent la sérénité et le calme face au rythme effréné de la vie quotidienne. Mais malheureusement, ce mode de vente est menacé de disparaître.
Un parfum de nostalgie
Trân Nha Thanh est propriétaire de la boutique Nha Anh, située rue Phan Dinh Phùng, arrondissement de Ba Dinh, Hanoï. Diplômée en sciences sociales à l’étranger, elle a orienté sa carrière vers bien autre chose : la vente de fleurs et de produits de santé et de bien-être. De loin, sa boutique attire l’œil par son apparence d’un ancien temps, ouverte vers un espace impressionnant à l’intérieur où des boîtes rondes en bronze, des serviettes, des tables décrépies et des fleurs sont bien rangées, nous amenant à nous immerger dans le parfum du siècle précédent.
Un panier plat de fleurs de culte se vend 2 millions de dôngs. |
Par ses efforts et son temps passé à vendre des produits appartenant à l’oubli, Nha Thanh apparaît aux yeux de bien des gens comme une "excentrique". Pourtant, son petit magasin se porte bien.
Les ngoc lan (Magnolia × alba), hoa ngâu (Aglaia odorata), hoàng lan (ylang-ylang), lotus, jasmin, et autres jeunes fleurs de palmier à bétel, sont placées par les mains habiles de Nha Thanh sur le panier plat en bambou de manière esthétique et créative.
Cette installation artistique apporte une harmonie parfaite à ses produits. Leur odeur très douce et délicate diminue le stress et calme les âmes. Parfois, Nha Thanh met des fruits ou des aliments saisonniers, en alternance des fleurs. Du côm (jeune riz gluant) ou des kakis viennent ainsi souffler un vent nouveau de créativité et de passion aux fleurs traditionnelles.
Nha Thanh utilise les réseaux sociaux pour présenter et vendre ses produits. On peut la contacter sur internet ou passer un appel téléphonique pour aller collecter ou pour recevoir ses fleurs chez soi. L’emballage ne se compose alors plus simplement de feuilles de dong et de ficelles de giang (un type de bambou), mais se fait par des paniers en rotin et des boîtes en son mài (laque poncée)… Cela apporte aux fleurs de l’élégance, un raffinement, un sentiment de luxe, au prix par ailleurs élevé (plusieurs centaines de milliers voire plusieurs millions de dôngs) mais que les consommateurs sont toujours prêts à consentir.
Cette jeune Hanoïenne est attachée à ce métier depuis quatre ans. Et, comme son aînée témoin des traditions, elle remplit les plats de fleurs pour exprimer son amour envers la Hanoï d’autrefois et d’aujourd’hui, qu’elle chérit davantage en toute sérénité.