Les Amazones estoniennes défendent leur "île des femmes"

Depuis des siècles, sur une petite île de la mer Baltique couverte de forêts, des femmes portant foulards et jupes à raies rouges cultivent la terre, gardent le phare, président des cérémonies religieuses et se déguisent en Père Noël.

Des "gardiennes" de Kihnu.
Photo : Le Monde/CVN

Les hommes de l’île de Kihnu, à 10 km des côtes estoniennes, prennent le large pendant des semaines et des mois, laissant aux femmes le soin d’animer ce que l’on considère comme l’une des dernières sociétés matriarcales du globe. Mais ce mode de vie coutumier de Kihnu est menacé. Les difficultés économiques poussent de plus en plus d’insulaires à partir à la recherche d’un emploi ailleurs.

"Autour de chaque table de cuisine, chaque jour, nous discutons de notre survie", déclare Mare Matas, guide et protectrice de l’héritage de Kihnu.

La vie à Kihnu s’articule toujours autour d’anciennes traditionset chansons populaires, une culture unique classée au "patrimoine oral et immatériel de l’UNESCO". "Nous allons laperdre si les gens ne vivent plus ici", s’inquiète Mme Matas.

La pêche menacée

Bien que 686 résidents y soient enregistrés, seulement 300 y restent à l’année, soit moitié moins qu’avant la crise mondiale de 2008 qui a durement frappé l’Estonie. L’île de 16 km² compte seulement quelques routes pavées, deux petits magasins d’alimentation, un musée, une église et une petite école qui n’accueille plus que 36 élèves, contre une centaine il y a quelques années.

"Les phoques et les cormorans, c’est le plus gros problème", explique le pêcheur Margus Laarents, en train de fumer un lot de poissons récemment pêchés, sur une grille derrière sa maison.

Les deux espèces sont protégées après avoir quasiment disparu au milieu du siècle dernier pour cause de chasses massives.  Depuis, elles sont revenues en masse et menacent à leur tour les poissons locaux. Une étude menée en 2010 a montré que les captures de perche ontété divisées par dix et celles de certaines autres espèces par 100.

Margus et sa femme Marge estiment, comme beaucoup d’autres, qu’ils ne peuvent plus vivre de la mer. Comme beaucoup encore, ils subviennent à leurs besoins alimentaires en élevant des animaux et en cultivant la terre. L’autre moyen de subsistance traditionnel, le tricot et le tissage, n’est plus viable sur le plan commercial, explique Mare Matas. "Toutes ces choses qui jadis avaient de l’importance n’en ont plus", dit-elle.

De nombreux pêcheurs sont ainsi partis à la recherche de travail en Norvège ou en Finlande.

Harengs salés

Lors de leur matinée-café hebdomadaire, 12 dames âgées de Kihnu échangent nouvelles, ragots et souvenirs, autour d’une table de harengs salés, biscuits et chocolats. On parle des hommes qui ont fait le choix de rester sur l’île et sont beaucoup plus nombreux aujourd’hui à s’attaquer aux travaux autrefois réservés aux femmes.

Kihnu, l’île des femmes.
Photo : Le quatre heures/CVN

"Oskar a été l’un des premiers à aller travailler dans les champs", se souvient Merasse Salme. On raconte sur l’île que Mme Salme, une forte personnalité matriarcale, avait insisté pour que son mari Oskar vienne travailler à la ferme avec elle, quand le couple était âgé de 25 ans. "Cela nous faisait rire de voir un homme travailler la terre", rappelle une dame.Ce mode de vie si particulier, attire les touristes. Jusqu’à 30.000 visiteurs, une moitié d’Estoniens et l’autre venant d’Europe et d’Asie. Comme il n’y a ni hôtel ni restaurant, certains accueillent les visiteurs chez eux. Mais le tourisme ne rapporte que pendant l’été.

Magie bleue

Les rôles des hommes et des femmes ont peut-être changé, mais une tâche incombe toujours aux dames : faire vivre la culture séculaire de Kihnu. Quand les hommes étaient en mer, la tradition voulait que les femmes organisent les festivals, enterrements et mariages - des cérémonies anciennes et complexes parfois étalées sur plusieurs jours.

Un mariage à Kihnu reste unique : trois jours de musique, de danse, de rituels pré-chrétiens, dont celui de magie bleue, protectrice, consistant à couvrir la tête de la mariée d’un tissu blanc bordé de rouge - qui lui assure une protection surnaturelle -, jusqu’à ce qu’elle arrive à la maison de son époux.

Les chants populaires, la maîtrise du violon ou de l’accordéon sont des compétences indispensables pour les femmes de l’île, dont beaucoup portent au quotidien leur jupe Kihnu à rayures rouges. La chanteuse folk Virve Koster, très connue en Estonie, partage cette opinion.

Âgée de 92 ans et toujours en tournée, Virve Koster est considérée comme l’incarnation de l’esprit indomptable des femmes de Kihnu. De son salon décoré de prix et de souvenirs, elle raconte ses années de besogne sur la mer gelée et de labourage des champs, les pieds protégés seulement de chaussettes en laine.

Mais elle a toujours connu le réconfort, et la gloire, grâce à ses 400 chansons sur la vie dans les îles, la nature et, surtout, l’amour. Si nombre des habitants sont partis, certains retournent sur l’île.

La violoniste Maria Michelson est revenue à Kihnu après ses études universitaires et maintenant elle en transmet l’héritage musical aux enfants, dans un centre culturel en bois. Selon elle, Internet et un nouveau ferry qui vient deux fois par jour ont révolutionné la vie sur l’île. "Cette culture locale que nous avons, peut-elle faire face à ce monde nouveau ? On verra bien", soupire-t-elle.


AFP/VNA/CVN

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