>>Nouvelle édition bilingue vietnamien-russe du Truyên Kiêu
Les enfants vietnamiens aiment bien le "vè" de l’oiseau. |
Fondés sur des faits et des personnages réels, les vè constituent une sorte de journal oral. Une histoire vivante, enregistrée au fil des jours, transmise de bouche à oreille, créée par le paysan derrière sa haie de bambous ou chantée par l’aveugle au hasard des rues et des marchés. Un journal anonyme, mobile, par là même insaisissable, et se moquant des autorités. Peu à peu, le rayon de diffusion s’étend au village, au district, à la province, à la région, même à tout le pays si l’événement est de taille.
Différents thèmes
Certains thèmes portant sur les us et coutumes ont cependant une diffusion limitée à la région intéressée : querelles de famille, animosité entre belle-mère et bru, femme battue par son mari, domestiques maltraités… mais également construction d’un temple du génie tutélaire ou résultats d’une bonne moisson.
Quand il s’agit d’une insurrection paysanne, la diffusion gagne toute la province et même au-delà. Ce qui se dégage de ces journaux oraux, c’est avant tout l’esprit de lutte contre la colonisation française et l’oppression féodale, les rois, les mandarins et les notables, soutiens de l’occupant. Ainsi le vè du pont couvert de tuiles du marché Liêu, circulant dans une localité du district de Nam Dàn, souligne le danger d’un caniveau détérioré jamais réparé, susceptible de provoquer de nombreux accidents. Il dénonce par la même occasion la corruption des notables employant les derniers publics à festoyer, au détriment des travaux utiles à la population.
Le "vè" est transmis de bouche à oreille. |
CTV/CVN |
Un vè, né avant la Révolution de 1945 contre la tournée du roi au service des Français, s’éleva contre l’injustice des corvées, les exactions et les abus auxquels se livrèrent les notables à cette occasion. Le vè des impôts, le vè de la corvée des coolies, le vè du pauvre gardien de buffle… portent de dures accusations contre le régime d’exploitation de l’époque.
Deux chants célèbres
Les vè historiques du XVIIIe siècle et du XIXe siècle célèbrent les paysans rebelles (Lía, Quân He, la troisième femme de Cai Vàng), et surtout la résistance au colonialisme de la part des lettrés patriotes et du peuple. Les plus célèbres sont "Le chant de l’esprit de loyauté de la capitale" (Hà thành chính khí ca) et "Le chant de la chute de la capitale" (Hà thành thât thu ca).
Le chant de l’esprit de loyauté de la capitale a été composé probablement quelques mois après qu’Hanoï a été occupée pour la seconde fois (1882) par les Français. Ce poème se compose de 70 distiques (6+8 syllabes). Ne s’attachant pas à la description des événements, il chante surtout l’héroïsme du gouverneur, le lettré Hoàng Diêu qui représente la loyauté et le patriotisme face aux mandarins traîtres ou poltrons, prenant la fuite ou pactisant avec l’envahisseur. On attribue la paternité de ce poème à Ba Giai, lettré humoriste.
Le chant de la chute de la capitale comprend 225 vers. Il relate la première et la deuxième perte de la capitale, en 1873 et en 1882. Il traduit à la fois la joie du peuple à la nouvelle de l’anéantissement du détachement français commandé par Francis Garnier, et son amertume, son indignation aussi face à la politique de reddition de la Cour de Huê. On y sent tout le mépris du peuple envers les mandarins collaborateurs et défaitistes. Il dépeint en même temps la misère d’un pays meurtri, pillé sans merci par les troupes d’occupation française ou chinoises, appelées à l’aide par le roi lui-même.
Le vè est tombé en désuétude du fait de la profusion des médias modernes, journaux, radio, TV. Mais en tant que genre littéraire, il continue à être cultivé par des poètes satiriques.
(Janvier 1999)