Chaque hiver, des millions de papillons Monarque (Daraus plexippus) quittent le Canada pour une émigration saisonnière dans la même forêt du Mexique central. Quand ils volent, ils peuvent former un nuage qui assombrit le ciel ou virevoltent en petit nombre entre les arbres de cette forêt à 3.000 m d’altitude. Ils laissent une graisse sur l’écorce des arbres et le sol, attirant ainsi les générations suivantes. Le Monarque ne migre qu’une fois au cours de sa vie, revenant au printemps au Canada, un trajet de 4.500 km en deux mois, en raison de 80 km par jour. Les individus nés au Mexique peuvent vivre 6-7 mois alors que d’ordinaire, le papillon n’a qu’une durée de vie d’un mois. La migration des Monarques reste une énigme pour les scientifiques.
Le papillon est une source d’inspiration de la poésie au |
De tels mystérieux papillons n’existent pas partout, mais il est certain que le papillon existe partout et qu’il entre dans toutes les cultures du monde avec une multitude de représentation.
Au Vietnam, le papillon (buom en vietnamien) est présent dans toutes les régions, du delta à la montagne. Le buom phuong (papillonadiaez ou papillon phénix) est appelé aussi buom bà (papillon grand-mère) ou buom me (papillon mère) est grand, joli et a des ailes postérieures allongées comme la queue du phénix. Le buom cai (pericdac), de taille moyenne, a des ailes blanc-jaune avec des taches noires. Le dông trùng ha thao (hiver insecte - été herbe) est une nymphe de papillon vivant dans la tige du graminée ; il est consommé comme fortifiant.
Le Vietnamien, surtout à la campagne, fait connaissance très jeune avec le papillon. Au temps de la colonisation française, il apprenait par cœur dans son Manuel de langue vietnamienne le texte Garder le buffle qui disait : «Haut perché, assis sur le dos du buffle, je suis de mes yeux les papillons voltiger sur la prairie». Les écoliers font la chasse aux papillons et les collectionnent, pressés entre les pages de cahier.
Plusieurs objets d’usage courant affectent la forme du papillon : bibelots, accroche-manteau en rotin et en bambou laqué brun, jouet sous forme de lampe de la Fête de la mi-automne des enfants, etc.
Variations de sens et allusions
Le buom bac, plante sauvage aux fleurs blanches pareilles aux ailes de papillon, fait partie de la pharmacopée traditionnelle. Le hoa buom (fleur papillon) désigne la pensée. Dans la langue populaire, l’appareil génital d’une petite fille est appelée buom (papillon) alors que celui d’un petit garçon est nommé chim (oiseau) cu (thang cu = petit garçon, con buom = petite fille).
La langue littéraire abonde en allusions concernant le papillon, symbole de l’amour facile, des liaisons amoureuses frivoles, la prostitution. L’expression Buom chan ong chê (fleur délaissée par les papillons et les abeilles : allusion à une beauté fanée, à une vieille fille de joie). Le terme Buom ong (papillons et abeilles) désigne les galants : Buông loi buom ong (dire des paroles de papillon et d’abeille = faire la cour à une femme).
Dans le Truyên Kiêu (Histoire de Kiêu), chef d’œuvre poétique inégalé de notre littérature classique, son auteur, le poète Nguyên Du, cite 11 fois le mot buom avec des allusions différentes : Tuong dông ong buom di vê mac ai (elle ignore la ronde des galants qui papillonnent au-delà des murs de l’Est) ou Biêt bao buom la ong loi (Que de papillons et d’abeilles folâtrent autour d’elle = la ronde des chercheurs de joie) ou encore Buom ong lai dat nhung diêu no kia (Les médisants inventent des histoires de papillon et d’abeille - relation amoureuse - à votre sujet).
Dans la littérature romantique des années 1930, Nhât Linh s’est distingué par son roman Buom trang (Papillon blanc, 1942). Le papillon représente un beau rêve, un amour qui s’est avéré frivole et irréalisable. Le héros gidien se débat désespérément entre la mort et l’amour. Le dénouement de l’histoire est toutefois peu gidien : l’homme choisit de se réconcilier avec la vie à laquelle il donne un sens par le choix d’une vie humble, dédiée au petit peuple.
Images de la resurrection
Le philosophe taoïste chinois Trang Tu (IIIe siècle avant J.C) a créé avec le papillon une célèbre métaphore : Trang Chu, dans un rêve, se sent transformé en papillon, quand il se réveille, il se demande, très embarrassé, s’il est en réalité un homme rêvant d’être papillon ou un papillon rêvant d’être homme, image typique de la pensée sceptique, agnosticisme et relativiste. Le papillon est un motif familier de la poésie chinoise. La prononciation du mot diêp chez les Hoa Viêt donne deux homonymes : papillon et personne âgée à partir de 70 ans. À cause de ce calembour, le papillon est employé dans les souhaits de longévité. Dans la peinture classique, le papillon figure souvent en compagnie des fleurs.
Au Japon, le papillon est l’image de la femme, un couple de papillon représente une belle union matrimoniale. Le papillon représente également l’âme errante d’un mort. Quand un papillon entre dans la maison, c’est le présage de la mort d’un être aimé ou d’une prochaine visite inattendue.
Beaucoup de peuples considèrent le papillon comme l’âme d’un mort. Pour les Indiens Aztèques, le papillon voltigeant parmi les fleurs évoque un vaillant guerrier qui vient de mourir en plein combat. Les Babula en Afrique centrale comparent le processus de la vie humaine aux métamorphoses de la vie du papillon (ver, oeuf, cocon, papillon) : le papillon sort du cocon, l’âme sort du corps humain sous forme de papillon.
La psychanalyse considère aussi que le papillon est l’image de la résurrection. Chez certains peuples de l’Asie centrale et dans l’antiquité gréco-latine, on croit qu’après la mort, l’âme humaine se change en papillon pour quitter le corps. Plusieurs œuvres musicales de l’Occident font allusion au papillon. Les Papillons de Schumann comporte 12 strophes dépeignant 12 personnages masqués qui apparaissent et disparaissent comme des papillons à la lumière clignotante d’une nuit de carnaval.
L’opéra Madame Butterfly de Puccini raconte une histoire qui se passe au Japon. Un officier de marine américain, au cours de sa mission à Nagasaki, prend comme concubine une Japonaise qui se met à l’aimer passionnément comme mari inséparable. Au terme de sa mission, il la quitte, lui naissant un enfant et l’espoir de son retour. Il l’oublie et revient quelques années après avec sa femme américaine. Désespérée, elle leur confie son enfant avant de se tuer.
En français, le mot «papillon» avec nombres de dérivés et d’expressions attenantes révèle certains traits de la psychologie et du comportement des Français. À ce point de vue, papillon est d’une richesse sémantique plus grande que ses homologues anglais (Butterfly), allemande (Schmetterling).
Huu Ngoc/CVN