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Le président kényan Uhuru Kenyatta s'adresse au peuple kényan après l'annonce des résultats par la commission électorale selon laquelle il est vainqueur du scrutin présidentiel |
Sitôt la proclamation par la Commission électorale (IEBC) vendredi soir 11 août de la réélection de M. Kenyatta, 55 ans, pour un second mandat de cinq ans, des scènes de liesse ont été observées dans les zones fidèles au parti Jubilee au pouvoir. Mais des violences ont aussi éclaté dans les bastions de l'opposition, qui a dénoncé des fraudes massives et dont les supporteurs sont persuadés que la victoire leur a une nouvelle fois été volée.
Crédité de 54,27% des voix, contre 44,74% à son principal rival Raila Odinga, M. Kenyatta, au pouvoir depuis 2013, a tendu la main à son adversaire dans une adresse à la Nation, après l'officialisation de sa victoire qualifiée de "mascarade" par l'opposition.
"Nous devons travailler ensemble, nous devons faire équipe, nous devons grandir ensemble, nous devons ensemble faire grandir ce pays", a-t-il lancé, appelant l'opposition de ne pas "recourir à la violence". Mais ces mots d'apaisement n'ont pas eu l'effet escompté à Kisumu (Ouest) et dans plusieurs bidonvilles et quartiers populaires de Nairobi, tels Kibera, Mathare ou Kawangware, où la frustration a débouché sur des violences.
À Kibera, des opposants en colère ont attaqué et pillé des commerces appartenant selon eux à des sympathisants de Jubilee, a rapporté un photographe de l'AFP, qui a aussi vu la police tirer des coups de feu en direction des émeutiers. Cinq personnes blessées par balles dans ces incidents ont été hospitalisées dans la nuit - trois à Kisumu (Ouest) et deux à Nairobi - selon des sources hospitalières interrogées par l'AFP.
Des violences circonscrites
Au petit matin, le bidonville de Kawangware portait aussi encore les stigmates des bagarres de rues. La police s'activait à débarrasser les pierres, les pneus encore fumants et différents débris utilisés pour ériger des barricades. Il y a dix ans, plus de 1.100 personnes avaient été tuées et 600.000 déplacées en deux mois de violences post-électorales, les pires depuis l'indépendance en 1963, après la réélection fin décembre 2007 de Mwai Kibaki, déjà contestée par M. Odinga.
Ce souvenir ne signifie cependant pas forcément que le pays se dirige dans la même direction. Les violences, qui avaient entraîné la mort de six personnes mercredi, ont été pour l'instant circonscrites à de rares endroits. Kisumu, où l'ethnie Luo de M. Odinga est majoritaire, est le fief de l'ancien Premier ministre. En 2008, des dizaines de jeunes y avaient été tués par la police. Kibera, dont M. Odinga a longtemps été le député, est également avec Mathare le socle de l'opposition dans la capitale.
Des manifestants pillent et incendient des biens appartenant à la tribu Kikuyu le 11 août à Nairobi, après l'annonce de la réelection du président Uhuru Kenyatta. |
Le contexte politique est également différent. L'essentiel des violences avaient alors opposé les Kikuyu de M. Kenyatta aux Kalenjin. Or ces deux ethnies sont désormais alliées, le vice-président William Ruto étant un Kalenjin. Reste que l'opposition dénonce des élections entachées de fraude massives et affirme que les résultats ont été manipulés par le truchement d'un piratage informatique.
L'opposition s'en remet au peuple
"Je pense que tout ça relève d'une mascarade totale, c'est un désastre", avait déclaré James Orengo, l'un de ses principaux leaders vendredi peu de temps avant la proclamation du vainqueur. L'opposition a écarté l'éventualité d'un recours en justice, disant être "déjà passée par là dans le passé". En 2013, M. Odinga avait déjà contesté la victoire de M. Kenyatta, mais la Cour suprême lui avait donné tort.
La Nasa a préféré s'en remettre au "peuple" sans explicitement lui demander de descendre dans la rue. M. Odinga est resté silencieux. Mais ses premières déclarations pourraient décider de l'avenir de la contestation. Jeudi soir 10 août, M. Odinga, 72 ans, qui jouit d'une influence énorme sur sa communauté Luo, avait appelé au calme, non sans prévenir: "Je ne contrôle personne. Les gens veulent la justice".
Les pressions internationales seront certainement intenses dans les jours à venir sur celui qui doit encaisser une nouvelle défaite historique pour sa famille. Son père, Jaramogi Oginga Odinga, avait été brièvement vice-président, avant de perdre la lutte post-indépendance pour le pouvoir au profit du premier chef d'État Jomo Kenyatta, père d'Uhuru.
Le retour au calme dépendra aussi de la réponse policière face aux violences. "Il est important pour les forces de sécurité de travailler à faire baisser et non augmenter la violence", a prévenu Otsieno Namwaya, chercheur à Human Rights Watch.
AFP/VNA/CVN