Le Hanoi d’hier

Rosemary Morrow, un militante sociale australienne, et Alice Kahn, une amie de Huu Ngoc, durant leurs séjours à Hanoi à la fin des années 1958 et 1989, ont gardé des souvenirs et des impressions sur le Hanoi de jadis.

Beautés hanoïennes d'autrefois.

Rosemary Morrow, militante sociale australienne, est amoureuse de Hanoi et des Hanoiens dès sa première visite en 1989. Depuis, elle a eu l’occasion de revenir souvent dans la capitale du Vietnam. Elle a pu se rendre compte de ses mutations spectaculaires depuis la fin des années 80.

«C’était la ville la plus paisible que je connais. Les vélos roulaient à travers les rues. Pas de pollution causée par le trafic et les klaxons. On n’entendait que des paroles et des rires échappés entre parents et entre amis en vélo. Peu de maisons à deux ou trois étages, peu d’électricité», raconte-elle.

Une trentaine d’années avant feu R. Morrow, mon amie Alice Kahn avait fait la même remarque qu’elle au sujet de l’atmosphère, sympathique, paisible presque villageoise de Hanoi. C’était en 1958, quatre ans après Diên Biên Phu et la libération de la ville occupée par le corps expéditionnaire français depuis 1946. Alice accompagne son ami Jacques Kahn venu au Vietnam comme correspondant de l’Humanité. Ce qui l’a surtout frappée, c’est l’assainissement matériel et moral de la capitale après les années d’occupation et de guerre. Ci-dessus son article publié par le Vietnam en Marche (octobre 1958) : «Un jour je quitterai Hanoi…»

Hanoi… ses larges et belles avenues bordées d’arbres imposants, le lac de l’Épée restituée, la file des étudiants à bicyclette à la sortie de l’université, les jeunes filles à la longue chevelure retenue par une barrette de métal qui, dans les défilés populaires, poussent des cris aigus d’hirondelles pour saluer l’Oncle Hô, les paysans en vêtements bruns aux alentours de la gare ou au marché Dông Xuân, une petite fille fluette portant sur la hanche un gros petit frère aux fesses rondes, les commerçantes de la rue de la Soie et leurs colliers de jade, un bô dôi (soldat de l’Armée populaire. La population les appelle anh bô dôi (frère soldat !)) pensif qui a pris son vélo à la main pour accompagner une petite marchande, son fléau sur l’épaule… Un jour je ne verrai plus tout cela…

Hanoi, la propre, la saine

«Ah ! Madame ! m’a dit avec une naïve inconscience une petite fonctionnaire de mes compatriotes, vous n’avez pas connu Hanoi autrefois ! Une vraie sous-préfecture française !» Toutes les nostalgies ne sont pas aussi candides…

Hanoi, la propre, la saine, Hanoi où une veste déchirée se remarque, où les mouches sont en voie de disparition, Hanoi a perdu, depuis 1954, tout ce qui fournit au temps du colonialisme des effets si faciles pour «l’atmosphère d’Extrême-Orient» d’une littérature de bazar : le banditisme, le jeu, la prostitution, l’opium.

J’ai pu voir, noir sur blanc, dans les statistiques du Comité administratif, la représentation chiffrée de cet ancien «pittoresque».

Du temps des bandits célèbres Nhan Trang (hirondelle blanche) et Thành Phêt (Thành gros lard) et des bandes de voleurs de moindre envergure qui grouillaient autour d’eux, on comptait une moyenne de 200 cas de vols, d’extorsions ou d’agressions en une journée. Sur plus d’un kilomètre, plus de la moitié des maisons de la rue Khâm Thiên abritaient le commerce des femmes. En 1954, Hanoi comptait plus de 10.000 prostituées, 444 fumeries d’opium !

À la même époque, 120 îlots plus qu’insalubres «abritaient» si l’on peut dire, 110.000 pauvres gens, dans des conditions atroces. C’était aussi le temps des épidémies de variole (2.059 cas, 558 décès en 1952 ; 1.404 cas, 751 décès en 1954).

La variole est éliminée depuis 1956. Le banditisme n’existe plus. La prostitution publique a disparu, le jeu et l’opium sont interdits efficacement.

Dans le quartier de la Paix, autrefois quartier de la Pagode royale, des étoffes teintes qui sèchent, un vélo-pousse garé sous un auvent tressé, disent les menues industries des habitants. Ils ont construit leurs maisons eux-mêmes avec une aide financière de la ville.

Travaux de relogement et d’assainissement

Dans le quartier des dockers, derrière la levée du Fleuve Rouge, à 200 m de la gare fluviale, les paillotes sont particulièrement nettes et bien aérées. Une grande mère me fait retraverser tout le village, sous un soleil de plomb parce qu’elle voulait me montrer sa maison, d’ailleurs en tout point pareille aux autres, cueillir pour moi une bouquet d’œillet d’Inde dans un jardin en pente grand comme la main au-dessus d’un étang vert et surtout me faire admirer le cochon qu’elle élève.

Pho ambulant dans une rue du Hanoi de jadis.

Dans le quartier des travailleurs de la voirie, de belles maisons de bambou bien carrées ont été édifiées sur un vaste terre-plein aplani, à l’emplacement d’une ancienne décharge publique sur le lieu même où ces travailleurs goûtaient autrefois au milieu des ordures.

Là, nous avons été honorés d’une réception particulière : dans la maison que nous avions élue au hasard de dizaines d’invitations, pour y boire le verre de thé de la courtoise vietnamienne, nous aurions bien pu être étouffés tant la foule se pressait, dense, autour de nous. On nous dévisageait joyeusement. Nous étions les premiers Français à venir là. «Jamais un Français n’aurait mis les pieds ici autrefois, nous dit-on. Rien qu’en passant sur la chaussée ils se bouchaient déjà le nez….».

Il y a l’électricité, mais pas encore l’adduction d’eau et on nous explique avec animation qu’il faut absolument l’avoir.

Ce groupe de maison a une classe maternelle, un club : on donne régulièrement des séances de cinéma ; il n’y a plus un seul analphabète depuis le printemps de cette année.

La ville avait investi, à cette époque, 300 millions de dôngs dans les travaux de relogement et d’assainissement. «Mais, nous disait le Dr Trân Duy Hung, président du Comité administratif de Hanoi, la population y a mis ses efforts, son travail, des matériaux et surtout, le cœur. Nous ne faisons rien de bon, ajoutait-il, sans que le peuple nous prête son concours!»

Les habitants d’un quartier s’entraident pour être logés dignement. Les «volontaires d’hygiène» propagent inlassablement des conseils élémentaires. Des milliers d’éducateurs bénévoles participent à l’enseignement populaire. Certains d’entre eux, souvent les plus enthousiastes, étaient eux-mêmes illettrés il y a peu de temps.

Hanoi se modernise rapidement

Peu à peu, nous avons été amenés à connaître quelques-uns des animateurs de cette activité profonde, quelques-uns entre les centaines et les milliers de militants obscurs qui passent leur vie parmi les masses.

Avant la longue guerre de résistance, les hommes et les femmes de Hanoi étaient considérés comme une simple variété de ces «foules d’Asie» fatalement vouée, d’après une littérature complaisante, à la famine, à la maladie, à toutes les tares sociales. Aujourd’hui, ils construisent eux même leur vie nouvelle.

Plus encore que l’image des pagodes et des belles avenues plantées d’arbres, c’est leur souvenir que j’emporterai avec moi.

Depuis deux décennies, tout ce dont parlent R. Morrow et A. Kahn font partie de l’hier. Hanoi se modernise rapidement et beaucoup de ses quartiers ressemblent aux ceux d’autres cités du monde. Adieu la sérénité et la convivialité d’une époque.

Huu Ngoc/CVN

Nota : Photos sélectionnées de la collection Ky uc Hanoi xua (Mémoires de Hanoi d’autrefois) de l’architecte-collectionneur Doàn Bac.

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