Depuis la fin des années 90, Manuel Betanzos, propriétaire d'une école de flamenco de haut niveau à Séville, dans le Sud de l'Espagne, part chaque été pour le Japon, où il passe une partie de l'année à donner des cours. Les quatre danseurs qui enseignent dans son école font de même. "Cela nous aide financièrement car nous sommes dans une période où il n'y a pas grande chose à faire ici. Et bien sûr, cela aide le flamenco à se développer", confie-t-il.
En échange, comme la plupart des écoles de flamenco en Espagne, celle de Manuel Betanzos profite de la présence de dizaines d'élèves asiatiques, la plupart venus du Japon pour s'initier à cet art qui allie chant, musique et danse.
L'enseignement pour les artistes de flamenco est la source de revenus la plus stable, souligne Yuko Aoyama, professeur de géographie sociologique à la Clark University du Massachusetts (États-Unis), qui a étudié ce phénomène.
La globalisation, remarque-t-elle, a généré des audiences nouvelles et une source de revenus bienvenue pour les artistes, alors qu'elle avait fait craindre une disparition des expressions culturelles locales comme le flamenco. "La commercialisation de l'art et l'expansion des marchés sont considérés comme néfastes, alors qu'en fait, sans ces marchés, ces formes d'expression auraient plus de mal à survivre", ajoute Yuko Aoyama. Elle cite d'autres exemples de disciplines ayant reçu une impulsion de l'extérieur, comme la danse tzigane roumaine, la samba brésilienne ou la calligraphie japonaise classique.
Les origines du flamenco sont obscures mais ont été identifiées au 15e siècle à la confluence des cultures arabe, juive sépharade et gitane, en Andalousie dans le Sud de l'Espagne.
Le gouvernement régional d'Andalousie a lancé cette année une campagne demandant le classement du flamenco au Patrimoine immatériel de l'UNESCO, et recueille des pétitions appuyant ce projet sur un site web en espagnol, anglais, français et japonais.
Car le flamenco, avec ses robes et volants aux riches couleurs, est devenu l'icône de la culture espagnole et sa popularité est immense à l'étranger.
Au Japon seulement, plus de 600 écoles accueillent plus de 60.000 élèves, selon l'Association japonaise de flamenco, soit plus qu'en Espagne.
La demande de professeurs a aussi explosé en Chine, à la faveur de l'émergence d'une classe moyenne occidentalisée.
Alors que le nombre d'Espagnols vivant en Asie est relativement peu élevé, la plupart des écoles y recrutent leurs professeurs directement en Espagne.
Comme des dizaines d'autres, Tomas Arroquero va passer chaque année plusieurs mois en Asie. Cet Australien de 40 ans, né de parents espagnols, s'est installé en Espagne en 1995, poussé par sa passion du flamenco. Depuis, il a enseigné au Japon et en Chine.
Sans ces occasions de travailler de l'autre côté de la planète, beaucoup d'artistes reconnaissent qu'il leur serait impossible de se vouer toute l'année à leur discipline. "Il est très difficile de vivre du flamenco en Espagne. Il y a tellement ici d'artistes de talent", explique Tomas Arroquero.
Tous cependant ne partent pas pour l'argent. Certains le font pour découvrir une autre culture, comme Claudio Tejero, 36 ans, qui confie avoir été déçu par son expérience d'enseignement au Japon. "Je n'y retournerai pas pour enseigner", dit-il. "Je préfère donner des cours en Espagne, là-bas les élèves manquaient d'un certain éclat".
AFP/VNA/CVN