Ce surnom en dit long sur les sentiments et l'admiration que les membres de l'ethnie Thai de Quê Phong ont pour ce septuagénaire, ancien directeur du Service de l'éducation et de la formation de ce district montagneux et reculé du Centre. Depuis son départ en retraite il y a 27 ans, Lô Van Khanh dispense continuellement des cours de langue Thai, gratuits bien sûr, au profit des villageois des environs, plus particulièrement aux jeunes et écoliers. "Pour que tout le monde puissent lire les épopées en langue Thai antique qui nous ont été léguées par nos ancêtres", explique le "maître", fier des récits centenaires en vers et en prose de son ethnie, tels que Khun Tinh, Khun Tuong, Nàng Di... sans parler des adages et airs folkloriques "très intéressants" d'antan.
Une langue toute d'un caractère littéraire
Le "maître" Lô Khanh Xuyên donne des cours tous les jours dans sa modeste demeure. La "salle de classe" n'est qu'une pièce rudimentaire qu'il a fait construire de ses propres deniers devant sa maison. Pas de pupitres ni de manuels scolaires. Peu importe. Une trentaine d'élèves s'y rassemblent chaque matin, chacun ayant son tabouret, et entourant un grand lit de planches qui, en guise de "table", trône au milieu de la salle de classe. Et de suivre attentivement les explications du vieux maître. Outre ces cours donnés gratuitement, Lô Khanh Xuyên réserve une partie de sa pension de retraite mensuelle pour acheter cahiers, stylos, craie... pour ses élèves. Son amour de la langue Thai et son dévouement dans le carde de son bénévolat sont parvenus à inciter les enfants à être consciencieux dans leurs études. "Mon souhait ultime est que la langue et l'écriture Thai demeurent à jamais vivantes dans la vie communautaire", exprime le "maître bénévole". Pour lui, la langue de l'ethnie Thai, qu'elle soit parlée ou écrite, est grammaticalement normative, sans oublier un "caractère littéraire magnifique", notamment dans les oeuvres d'amour de jadis.
En comparaison de la langue Thai pratiquée dans la communauté ethnique de la région du Nord-Ouest du pays, celle de Nghê An (Centre) est dans un état plus originel. Si au Nord-Ouest, l'écriture Thai antique a été partiellement rénovée, au Centre elle est demeurée quasiment intacte. Et jusqu'à ce jour encore, les Thai de Nghê An observent respectivement la manière d'écrire les caractères, verticalement, comme l'écriture chinoise.
Un bénévolat formidable
Lô Khanh Xuyên a eu une enfance peu heureuse. Orphelin de père et de mère, le petit Xuyên vit avec sa soeur dans le village de Dôn. C'est en 1945 que ce gamin de 9 ans est désigné par les autorités du district pour être agent de liaison, accompagnant les militants venus de la plaine pour établir des bases révolutionnaires dans les villages de Quê Phong. Studieux, le petit Xuyên apprend très rapidement à parler la langue Viêt (langue nationale) pour devenir en peu de temps un interprète Viêt-Thai parmi les militants en mission et la population locale. À 17 ans, on l'envoie au Nord pour suivre une formation d'enseignant des ethnies minoritaires, organisée par l'École normale de Viêt Bac. Diplômé, Lô Khanh Xuyên travaille alors pour une longue période au sein du Service de l'éducation et de la formation du district de Mai Châu, province de Hoà Binh (Nord), un haut lieu des Thai, avant de rentrer dans sa terre natale, à Nghê An, en 1963. Là, il assume le poste de directeur du Service de l'éducation et de la formation du district de Quê Phong jusqu'à sa retraite, en 1982.
"En ce temps là, les Thai à Quê Phong ne connaissaient pas la langue vietnamienne, même les cadres et dirigeants de communes et districts", se souvient Lô Khanh Xuyên. Dans une certaine mesure, cela a provoqué des difficultés, non seulement dans les échanges mais aussi dans les activités socioculturelles. Comment faire afin que les Thai, qui ne parlent que leur dialecte, puissent recevoir une instruction, assimiler des connaissances générales ainsi que les progrès scientifiques provenant de la plaine? Une question qui l'a tourmenté de longues nuits. Puis, une idée lui est venue enfin : il faut traduire en langue Thai des livres classiques, des manuels scolaires et autres documents rédigés en langue nationale. Ce dans le but d'aider les enseignants et cadres locaux à approfondir leurs connaissances générales ainsi qu'à les transmettre à la population.
Aussitôt dit, aussitôt fait. Le directeur Lô Van Khanh a consacré tout son temps libre à ce bénévolat. Des efforts qui ont porté fruits : les enfants fréquentent de plus en plus l'école, les adolescents apprennent à introduire de nouvelles techniques dans la production. La vie matérielle et spirituelle du coin s'améliore progressivement.
Des manuels didactiques à être ratifiés
Depuis que le vietnamien est pratiqué à l'école en tant que langue officielle, la langue Thai est parlée de plus en plus en mélange avec celle-ci. Et pour un long temps, peu de gens, des personnes âgées pour l'essentiel, ont été capables de lire les récits Thai antiques. Une situation encore plus alarmante chez les adolescents qui se sont avérés en quelque sorte "étrangers" devant les œuvres de leurs ancêtres. L'écriture antique Thai était-elle menacée de disparition ? Une triste réalité qui a fait longuement réfléchir le directeur du Service de l'éducation et de la formation de Quê Phong.
À partir de sa retraite, Lô Khanh Xuyên n'a cessé de chercher une réponse à cette question lancinante. Laquelle survient par une décision audacieuse : ouvrir une classe de langue Thai, sur le lieu même où il vit. Les villageois, quel que soit leur âge, sont tous bienvenus à “l'école” du vieux retraité. Depuis 27 ans, les cours sont organisés régulièrement tous les trois mois. Et en sortant de cette école, les élèves sont alors parfaitement en mesure de "décrypter" le trésor culturel et littéraire de leurs ancêtres.
La réussite de cette formation a redonné la joie de vie à Lô Khanh Xuyên. Il demeure néanmoins un souci : la langue Thai n'est toujours pas enseignée en tant que matière à part entière dans les écoles primaires comme secondaires du district, en raison de l'absence de manuels didactiques reconnus. De fait, le vieux maître, qui a pris soin ces dernières années d'élaborer un ensemble de manuels de langue Thai, veut désormais qu'ils soient agréés le plus rapidement possible par les services compétents de la province. "Cela est important, car il permettra de légaliser l'enseignement de la langue Thai à Quê Phong comme à Nghê An", affirme le gardien du trésor culturel des Thai.
Nghia Dàn/CVN