L’avenir de la poésie au XXIe siècle ?

Le XXIe siècle aura-il besoin de poésie ? La réponse semble positive à entendre les poètes et les lecteurs vietnamiens, selon les résultats d’une enquête réalisée par la revue Van Nghê (Arts et Lettres), qui consacre dans chacun de ses numéros hebdomadaires une large place aux vers.

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La poésie est un genre littéraire qui utilise le langage pour créer des images, des sonorités, des rythmes et des émotions.
Photo : CTV/CVN

Voici l’opinion de quelques amateurs de poésie :

"Je suis né et j’ai grandi au cours de la longue guerre patriotique. Démobilisé, je suis rentré au village. Justement, le club de poésie de mon village vient de sortir un recueil de poèmes de notre cru, paysans, anciens combattants, fonctionnaires en service ou retraités du village. Inflation de poésie, diriez-vous. Il faut que la poésie soit difficile envers elle-même. Mais le fait est là, tout le village, sans doute le pays aussi aime la poésie".

(Nguyên Thuy Khanh)

"Depuis quelques décennies, notre poésie a atteint un niveau esthétique plus élevé. Elle accumule des matériaux pris sur le vif dans la vie quotidienne. Il me semble que la majorité des élèves du secondaire et d’étudiants aiment lire et écouter des poèmes, surtout des poèmes d’amour. Mais beaucoup de poèmes d’aujourd’hui laissent le lecteur indifférent parce qu’on ne comprend pas ce qu’ils veulent dire… Les émotions et l’expression manquent d’originalité, les sentiments ne sont pas sincères, le superficiel noie la profondeur".

(Vuong Van Khoa)

"La plupart des poèmes publiés sont pauvres en sentiments et pensées. Ils donnent l’impression d’un cours d’eau dont le courant est presque à sec ou d’une rizière sans son tapis vert… Certains poètes courent après la forme, détachés de la tradition nationale et des préoccupations contemporaines".

(Thiên Son)

Ce qu’en pensent les poètes : "On dit que loin d’être un métier, la poésie relève du destin. Un écho mystérieux résonne en vous à un certain moment de votre enfance, qui tôt ou tard, prendra forme dans les premiers vers que vous devez écrire. La poésie ne vous lâchera plus…".

(Ngô Thê Oanh)

"La majorité des Vietnamiens font des vers, sous forme écrite ou orale. Nos poètes modernes ont-ils du talent ? Jusqu’à quel degré ? Quelle est leur place dans la production littéraire ? Il faut, pour répondre à ces questions, organiser une conférence nationale, sérieuse, franche et critique".

(Trúc Cuong)

Quid de la poésie étrangère ?

Et voici un autre son de cloche venant de l’antipode. Le poète cubain Luis Suardiaz, dans un article publié par Prensa Latina, se montre plutôt pessimiste quant à l’avenir de la poésie :

"À la fin de ce siècle, de ce millénaire agité, il s’avère que les médias dominent la scène artistique et que certains genres, telle la poésie, ont vu leur rôle minimisé.
Dans les années 1970, un récital poétique fut considéré comme un événement… Et si les poèmes publiés défiaient la critique sociale ou le système politique, ils trouvaient une vaste audience à l’étranger où les auteurs étaient souvent présentés comme des héros"
.

Mais, aujourd’hui, la demande en poésie est en pleine crise. En Allemagne, avec 81 millions d’habitants, on estime que chaque année ne sont vendus que plus de 1.000 ouvrages de poésie lyrique allemande. D’après M. Enzensberger, il y a dans son pays plus de versificateurs amateurs que de lecteurs de poésie.

Autrefois, les hommages printaniers rendus à Pouchkine à Léningrad (ville de Saint-Pétersbourg aujourd’hui) réunissaient une audience de plus de 100.000 personnes. Fini le temps des récitals poétiques organisés dans les grands théâtres où le public payait l’entrée. Nicolas Guillet pourrait évoquer à ce sujet ses tournées triomphales en Amérique. Aujourd’hui, les récitals présidés par des poètes de renommée ont lieu dans de petites pièces à l’intérieur de grands complexes des villes latino-américaines.

"Qu’est-ce qui s’est passé ? Est-ce à cause du cinéma et des best-sellers ? Il y a sûrement du vrai dans cela".

Jose Samarango, prix Nobel de Littérature, a beau dire, avec raison, qu’une image ne parle jamais, que c’est faux de dire qu’une image vaut un million de mots, - l’image est éphémère et ne laisse pas de trace. Il n’en reste pas moins vrai qu’à l’heure actuelle, la plus banale série télévisée a plus de succès que la poésie.

La poésie authentique

Nous sommes à la veille d’un millénaire énigmatique et à la fin d’un siècle plein de contradiction avec des progrès scientifiques étourdissants… En même temps, nous connaissons de grands échecs sociaux alors que les catastrophes naturelles sont plus tragiques, les différences économiques chaque jour plus grandes et que le spectre de la famine jette une ombre plus large sur une grande partie du globe; la poésie authentique donne moins de plaisir, devient plus synthétique, plus critique, et ne répond pas au goût du gentil lecteur désireux de s’évader des crises de la vie quotidienne. Il peut le faire avec l’aide des drogues nocives ou des drogues douces, non défendues, apportées par les médias sous forme d’images.

Jamais l’expression "usine de rêves" n’a eu autant de signification qu’aujourd’hui. France aux rêves colorés, la majorité des splendides œuvres poétiques ne sont rien de plus que des cauchemars sur les atrocités de la vie quotidienne… La poésie verra certainement la lumière au bout du tunnel, fera une brèche dans le mur de frivolité et d’évasion, et peut-être, armée de ses propres épines, s’épanouira jour après jour. Bien que, jour après jour, ses roses délicates et magnifiques soient brûlées par le soleil ou par le vent glacial.

Ce matin, à la baie de Ha Long dans la province de Quang Ninh, au Nord, j’ai discuté poésie avec mon ami, l’historien de l’art Günter Giesenfeld. Il pense que la poésie ne mourra pas au XXIe siècle mais que le cercle d’amateurs de poésie sera restreint. Une fonction importante de la poésie sera prise en charge par la chanson lyrique. Peut-être qu’il a raison pour l’Occident. Pour l’Orient et le Vietnam, il faut, pour reprendre l’expression anglaise, "wait and see".

Huu Ngoc/CVN
(Décembre 1999)

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