Comme Gérald Passédat le pratique déjà au MuCem de Marseille et Guy Savoy le projette à la Monnaie de Paris, ces grands noms de la gastronomie française se proposent d’introduire le «bien manger» au musée.
Le chef étoilé Michel Bras (1er plan) et son fils Sébastien présentent l’un des plats du restaurant qu’ils ouvrent au musée Soulages de Rodez. |
«On a fait quelques musées et on a trouvé que l’offre y était toujours aseptisée» entre pizzas et bruschettas, dit Michel Bras, 67 ans, fondateur du trois étoiles de Laguiole, à une heure de route au nord, dont s’occupe désormais son fils Sébastien. «On voulait que le lieu soit le prolongement émotionnel du musée».
Tous deux sont fiers de faire partie intégrante du projet qui met à l’honneur le peintre contemporain français le plus connu au monde, enfant de l’Aveyron comme eux.
Pierre Soulages, 94 ans, est né à Rodez. Depuis 35 ans, il peint en particulier des «outrenoir», tableaux abstraits qui explorent la réflexion de la lumière sur le noir, devenus sa marque de fabrique.
Le musée Soulages, qui place Rodez, préfecture de 27.000 habitants, sur la carte internationale de l’art, ouvre les 30 et 31 mai dans ses cubes d’acier et de verre à peine sortis de terre, gris et rouille, les teintes dominantes de l’Aveyron. Au cœur de l’édifice réalisé par les architectes catalans RCR, le café Bras commence à accueillir le public dès le 1er avril.
Le «registre de l’Aveyron»
Le mois de décalage sera mis à profit pour peaufiner la carte et rôder l’équipe de douze personnes qui travaillera dans le restaurant ouvert sur les paysages aveyronnais, raconte Sébastien Bras.
C’est à l’automne 2009 que les Bras ont remporté l’appel d’offres pour prendre en mains la restauration du musée, né de deux donations du peintre et de son épouse Colette. «On les avait côtoyés au Suquet», le restaurant gastronomique de Laguiole, explique Michel Bras à la presse. Le peintre a eu son mot à dire au moment du choix du lauréat.
Le chef étoilé Michel Bras (droite) prépare un plat dans la cuisine de son restaurant du musée Soulages de Rodez. |
À l’image de l’artiste, la famille Bras estime que «plus les moyens sont limités, plus l’expression est forte», souligne Michel, qui se définit «comme un autodidacte resté en Aubrac au moment où tant de monde filait vers la capitale». De fait, l’idée est de faire «une cuisine simple qui puise ses sources dans le registre de l’Aveyron», avec des produits du cru inspirés de la tradition locale et de ses souvenirs.
D’un côté, un espace dédié à la restauration de comptoir offrira des en-cas à différents moments de la journée, aux tarifs allant de 4,50 à 18 euros : le matin seront par exemple proposés des pascades (sortes de crêpes) à l’oeuf brouillé, fritons de porc et repounchous (genre d’asperge sauvage) ou des tripous qui «se mangent le matin» en Aveyron. L’après-midi, des tartes aux fruits seront à l’honneur.
Un espace de restauration classique servira, pour 29 euros, un menu du jour. Au total, le café Bras qui représente un investissement de quelques centaines de milliers d’euros, comptera une centaine de couverts.
Le conservateur du nouveau musée, Benoît Ducron, est enthousiaste. «On vit dans une civilisation des loisirs et la gastronomie est un art à part entière», estime-t-il. «Je trouve très intelligent de faire vivre un musée avec un restaurant» de grande qualité même si les deux espaces auront leur vie parallèle.
Le musée comptera un fond permanent constitué d’environ 500 oeuvres et pièces - peintures sur toile et sur papier, dont de précieux «brous de noix», les cartons préparatoires aux fameux vitraux de l’abbatiale de Conques voisine, un grand «outrenoir» de 1986 - auquel s’ajouteront des expositions temporaires d’autres artistes.
Mais pour l’ouverture, 23 grands «outrenoir» de Pierre Soulages venus des plus grands musées d’Europe constitueront l’exposition temporaire. Le musée veut ainsi célébrer «la chance de faire une exposition avec un artiste en activité dans son propre musée», souligne Benoît Decron.
AFP/VNA/CVN